4.4. Saisir le sens émergeant des interactions entre humains

Nombre de recherches en psychologie (Brassac, 2000a, 2000b, Brassac et Le Ber, 2005 ; Grégori et Brassac, 2001 ; Rabardel, 1995) et en informatique (Battarbee, 2003, 2004 ; Baker 2002, 2003 ; Baker et al. 2002 ; Dillenbourg, 1996, 1999 ; Jermann, 2001, 2004) ont montré la plus-value qu’apportent à l’activité les moments de travail conjoint. Nous pensons que l’individu « pensant » n’est jamais seul, mais toujours en interactions avec d’autres, co-présents ou re-présentés par d’autres, par des outils symboliques ou matériels. Sa cognition dépend de ces interactions, dans des situations composées d’humains, d’objets, d’inscriptions. La cognition est ainsi distribuée entre des êtres humains et des collectifs, et située dans des outils qui sont des inscriptions du monde.

Plus précisément, selon l’approche vygotskienne, c’est dans l’intersubjectivité que le développement se joue. La construction de sens qui émerge des interactions entre les sujets est une dynamique entre des productions langagières et non langagières (des gestes, des opérations sur des objets). En particulier, les interactions conversationnelles, supportées par des corps agissant dans, sur et via le monde sont le lieu d’émergence des cognitions. Dans ces interactions, les énoncés produits par les locuteurs ne sont pas porteurs d’un sens que les auditeurs doivent « récupérer », mais ils sont porteurs d’un potentiel de sens qui est négocié conjointement par le sujet adressant et le sujet adressé. Ce sens est provisoire et toujours négociable. Dans cette perspective, les situations consensuelles et dissensuelles entre les sujets nous intéressent de la même manière car la construction conjointe de sens et les négociations nous intéressent tout autant que les stabilisations de sens. Ce sont donc les interactions entre sujets qui nous intéressent pour appréhender le sens qui est constamment négocié pendant les interactions.