Chapitre 2 – Cognition située et distribuée.
Étudier des activités conjointes instrumentées

Bulle-enveloppe du IVè s. av. JC
Bulle-enveloppe du IVè s. av. JC

Lors d’une transaction commerciale, les Sumériens formaient une bulle en argile dans laquelle ils plaçaient des petites pièces, les calculi. Le total des calculi indiquait la valeur de la transaction. En cas de litige, ils cassaient la bulle pour contrôler le nombre de calculi. Ils trouvèrent ensuite une formule pour ne pas briser la bulle : ils formèrent des trous à la surface de la bulle, dont le nombre correspondait au nombre de calculi. Pourquoi alors fabriquer des boules contenant des calculi s’il n’était jamais nécessaire de les casser ? Ils aplanirent alors les bulles-enveloppes, qui devinrent des tablettes sur lesquelles ils inscrivirent des signes pictographiques (Asensio, 2006).

Tablette cunéiforme montrant un relevé comptable, 3300 av. JC
Tablette cunéiforme montrant un relevé comptable, 3300 av. JC

Dans ce deuxième chapitre, nous présentons le paradigme selon lequel nous considérons et examinons la cognition.

Après avoir rappelé le contexte historique de l’apparition des sciences cognitives et les principes et limites de la posture dominante dans ces sciences, nous affirmons que la prise en compte des contextes social et matériel dans l’étude des activités cognitives est une réponse aux limites de l’approche cognitiviste. Nous exposons alors plusieurs approches de la cognition prenant en compte les relations du sujet connaissant aux autres sujets et aux objets dans leurs aspects situé et distribué. Nous pensons que la cognition est située matériellement, que son « ancrage » dans les objets de la situation n’autorise pas seulement l’activité, mais qu’il la configure. Nous arguons également que la cognition est distribuée, c’est-à-dire que les composants de l’activité cognitive incluent les structures sociales, la culture, les individus et les outils. Défendant que les objets sont anthropologiquement constitutifs en tant que dispositifs de couplage avec le « monde », nous nous attachons ensuite à définir précisément le concept d’instrument. Nous mobilisons la théorie instrumentale de Rabardel pour définir les types de médiations et d’activités intervenant dans l’utilisation d’un instrument, ainsi que le concept de genèse instrumentale. Nous affirmons que le phénomène d’appropriation est un processus qui soutient la négociation de sens qui s’opère nécessairement entre les composants de l’activité cognitive. Nous affirmons enfin que la mobilisation du concept d’ « objet intermédiaire » pour caractériser les artefacts d’une activité vient renforcer notre posture épistémologique quant à leur statut dans l’activité, en tant qu’inscriptions matérielles de l’activité et médiateurs des interactions entre les sujets.

Mots-clés du chapitre : appropriation, artefact, cognition située et distribuée, instrument, objet intermédiaire.

Auteurs clés du chapitre : Brassac, Hutchins, Rabardel, Suchman, Vinck.