1. Introduction

La cognition est souvent étudiée du point de vue de l’individu « connaissant » et de ses processus mentaux : raisonnement, mécanismes attentionnels, usage du langage, mémoire, etc. Le cerveau est alors considéré comme le siège des processus cognitifs, permettant d’appréhender les invariants du sujet cognitif. Rappelons très brièvement l’historique des sciences de la cognition : elles sont nées dans les années 1940-1950 en réaction au béhaviorisme qui arguait que les structures mentales internes étaient inexistantes ou non pertinentes, et que l’étude du comportement pouvait être conduite entièrement selon une caractérisation objective du comportement lui-même, selon la métaphore des processus cognitifs comme une « boîte noire ». La réaction des sciences cognitives n’a pas seulement été de répliquer que les structures mentales existent et qu’elles sont importantes pour l’étude des mécanismes cognitifs, elles ont pris comme domaine d’études l’environnement mental interne aux sujets, séparément du monde externe. L’interaction avec le monde externe était réduite à la lecture ou à l’inscription d’opérations dans le monde, comme des marques de la fin de processus. Encore aujourd’hui, le modèle cognitiviste est le plus répandu, il est paradigmatique. À partir de ce modèle de la cognition humaine, des approches alternatives tentent de prendre en compte d’autres éléments participant à la cognition d’un individu : son corps, ses partenaires passés ou présents, ses instruments, son « monde ». La majorité de ces modèles sont centrés sur l’individu et son couplage au monde via perception et action. Mais certains postulent que les phénomènes cognitifs dépassent de beaucoup l’individu, et les situent à un niveau plus large. Parmi ces approches, citons l’approche systémique qui considère que l’individu connaissant appartient à un système responsable de la production de la cognition, et l’approche interactionniste qui considère que ce sont des interactions entre l’individu et son contexte au sens large (autres individus, instruments) qu’émerge la cognition.

Nous pensons qu’un certain nombre de limites des recherches en sciences cognitives sont liées au fait que l’on ne connaît que peu de choses de la cognition « sauvage » au sens de Hutchins, (1995). En effet, la majorité de ce que l’on sait de la cognition vient des expériences en laboratoire. Ces expériences sont certes indispensables à l’étude de certains phénomènes, et la cognition qui s’y produit n’en est pas moins située que celle observée en contexte naturel ou écologique. Cependant, nous pensons que l’on ne peut pas raisonnablement généraliser tout ce que l’on observe de la cognition en « captivité laborantine » à la cognition dans d’autres contextes culturels.

Nous présentons ci-dessous différents paradigmes d’étude de la cognition humaine prenant en compte les constituants sociaux et matériels des processus cognitifs, et modifiant ainsi la manière d’appréhender la cognition par rapport au paradigme cognitiviste.