2.1. Action située

L’anthropologue Lucy A. Suchman, ethnométhodologue, est l’auteur de Plans and situated actions : The problem of human-machine communication (1987), ouvrage de référence pour qui s’intéresse à l’action située et dans lequel elle propose le terme d’ « action située ». Dans cet ouvrage, elle s’oppose à l’approche cognitiviste computo-représentationnaliste de l’activité suivant laquelle les plans sont non seulement des descriptions, mais des prescriptions intégrales de l’activité. Selon l’approche cognitiviste, l’activité correspond à la réalisation effective d’un programme prédéterminé. La planification des actions joue un rôle majeur, et ainsi l’action pourrait être en partie comprise avant même d’avoir eu lieu et que les acteurs n’aient commencé à agir. Suchman adopte une posture interactionniste qui vise non pas à caractériser un type d’action, mais à rendre compte de l’organisation des actions. Elle affirme que les plans ont un rôle dans l’activité, non pas de prescripteurs, mais de ressources heuristiques pour mener à bien l’activité, les sujets qui interagissent négociant constamment le cours de l’activité en fonction de la situation : « Rather than attempting to abstract action away from circumstances and represent it as a rational plan, the approach is to study how people use their circumstances to achieve intelligent actions. » (Suchman, 1987, p. 50). C’est l’accomplissement de l’activité, en tant que processus, qui permet de l’aborder et de l’étudier. Ainsi, pour Suchman, le rôle principal est donné non plus aux plans mais aux actions situées, les plans devenant des productions, des ressources parmi d’autres. Le statut des plans est celui d’un produit qui émerge de l’action, qui ne remplit éventuellement sa fonction de planification qu’en simulation, mais en aucun cas dans l’activité réalisée. En étudiant la manière dont des sujets utilisent une photocopieuse, Suchman montre l’importance de l’indexicalité de l’action et redéfinit le rôle et le statut des plans, non plus comme déterminant l’action mais comme étant des ressources pour l’action. Elle montre en quoi les objets matériels ne permettent pas seulement l’activité, mais comment ils la configurent, en s’appuyant sur une citation de Turkle « Marginal objects, objects with no clear place, play important roles. On the lines between categories, they draw attention to how we have drawn the lines. Sometimes in doing so they incite us to reaffirm the lines, sometimes to call them into question, stimulating different distinctions » (Turkle, 1984, p. 31, quoted in Suchman, 1987, p. 5)

Comme Relieu, Salembier et Theureau (2004), nous considérons le caractère opportuniste et improvisé de l’action, et plaçons son ancrage matériel et social et le rôle des objets matériels, du contexte et des interactions sociales au cœur de notre recherche. Nous considérons également que toute action est de nature cognitive, et que réciproquement, toute cognition est une action. En cela nous pouvons affirmer que nous parlons de cognition ou d’intelligence « artificielles », en ce sens qu’elles sont situées dans les artefacts de la situation.