3.3.1. Systèmes pour la navigation

Revoir les évènements passés est utile dans de nombreux contextes. Greenberg et Witten (1988) se sont intéressés très tôt au fait que les utilisateurs répètent leurs actions avec les ordinateurs. Ils ont constaté que les utilisateurs refont certaines opérations, et se sont intéressés aux possibilités offertes alors par les systèmes pour favoriser les réutilisations (télétypes, sélections graphiques, éditions, navigations dans des menus, prédictions et programmation par l’exemple). Une étude sur la navigation web montre par exemple que 58% des urls consultés par les utilisateurs avaient déjà été consultées par ces mêmes utilisateurs (Tauscher et Greenberg, 1997), et que par conséquent, les navigations web pourraient tirer un bénéfice important des outils de présentation des historiques. Ces auteurs ont en effet analysé six semaines d’utilisations d’un navigateur par 23 utilisateurs avec les objectifs suivants : comprendre les manières avec lesquelles les utilisateurs revisitent les pages web, voir si il existe des motifs de réutilisation, évaluer les types d’historiques existants dans les navigateurs actuels, et créer des indications de conception pour de nouveaux systèmes d’historiques associés aux navigateurs. Ils ont montré que les utilisateurs revisitent fréquemment les pages web déjà visitées, mais également qu’ils continuent à en visiter de nouvelles, souvent qu’une seule fois. Concernant la revisite de pages déjà vues, ils montrent que ce sont les dernières pages visitées qui sont re-sollicitées, bien souvent par le biais du bouton « Back » du navigateur (30% des actions de navigation). Malheureusement, alors que la plupart des navigateurs proposent des fonctionnalités d’historiques, elles sont en général limitées et peu satisfaisantes.

Il existe également un débat sur la représentation de l’historique : sous forme linéaire, arborescente, en réseau, ou autre (Wexelblat et Maes, 1997 ; Hightower et al., 1998 ; Greenberg et Cockburn, 1999). Webmap (Doemel, 1994) est une extension de navigateur qui fournit une relation graphique entre les pages web. Le système PadPrints (Hightower et al., 1998 ) est un « compagnon » de navigateur qui construit dynamiquement une carte de l’histoire des pages web visitées. La carte représente les urls consultés sous forme d’arbre se lisant de gauche à droite. Selon ces auteurs, les pages web sont revisitées, mais les utilisateurs n’utilisent pas l’historique proposé par le navigateur. Pour cela, ils préfèrent le bouton « Back » du navigateur. L’explication apportée par les auteurs concerne l’incomplétude, le format textuel et l’aspect encombrant des historiques comme leurs trois limites principales. Dans le champ de la navigation web et l’implication des historiques, Greenberg et Cockburn (1999) se sont précisément penchés sur le rôle du bouton « Back » du navigateur. Ils ont montré que les boutons « Back » et « Forward » sont très utilisés, plus que les historiques ou les signets, pour revisiter des pages déjà consultées. Ces résultats sont confirmés par Cockburn et Jones (2000) qui ont développé le système d’assistance à la navigation web WebNet. Ce système utilise une représentation graphique de la navigation, des diagrammes de vue d’ensemble dynamiques, pour supporter la navigation sur le web et s’adapter aux actions de navigation de l’utilisateur et les renforcer. Avec le système Specter, Schneider, Bauer et Kröner (2005) proposent une « mémoire artificielle » pour assister l’utilisateur en élargissant sa perception. L’idée est double : premièrement une telle mémoire peut fournir une assistance prenant en compte le contexte et considérant les précédentes expériences liées à des contextes situationnels similaires. Deuxièmement, cette mémoire peut compléter la mémoire « naturelle » du sujet et peut être utilisée pour retrouver des informations. Basé sur un modèle de mémoire inspiré des modèles cognitivistes de la mémoire humaine, cet assistant propose une coopération entre utilisateur et système fondée sur des ontologies et propose de revenir sur certaines des actions de l’utilisateur et de les rejouer en les annotant. Dans ce système, la question du format des traces, qui doivent être compréhensibles du système Specter et de l’utilisateur est envisagée. Le système de Wexelblat et Maes (1997, 1999) Footprints, propose d’attacher des informations liées à l’usage d’un navigateur web aux objets manipulés par l’utilisateur qui navigue. Il analyse les logs HTTP d'un serveur pour former un graphe des navigations réalisées par les utilisateurs. Le système Footprints fait partie des systèmes d’assistance à la social navigation. La social navigation est le processus qui consiste en l’utilisation de signaux ou de traces provenant d’autres personnes, par exemple à l’aide d’annotations ou de classements, pour faciliter sa propre tâche. C’est une manière de « trouver l’information dans les activités des autres », à travers la communication et les interactions. Elle peut être directe (explicite, par exemple quelqu’un dit « vous devriez aller dans un autre cinéma»), indirecte (implicite, par exemple quelqu’un fait partie de la file d’attente au cinéma), prévue ou fortuite (Svensson, 2000) selon la relation avec autrui.L’idée est d’utiliser l’histoire interactionnelle des précédentes utilisations du système comme faisant partie de l’interface utilisateur, c’est-à-dire utiliser les informations tracées utiles pour la tâche en cours. L’histoire interactionnelle entre apprenants et système d’apprentissage émerge à l’interface entre ces acteurs, lieu de l’interaction. Or les systèmes numériques manquent de traces historiques (Wexelblat, 1998), les représentations n’intègrent pas de trace de l’utilisation ou de l’interaction avec un système visible pour l’utilisateur. Pourtant, la richesse et la nature des traces interactionnelles modifient la façon dont l’apprenant voit les objets d’interaction, ce pour quoi il pense qu’ils sont appropriés, les considère et les réutilise.