5.1. De la nature des traces d’interactions : niveau d’abstraction des informations tracées

Différents types de traces informatiques peuvent être utilisés comme soutien à l’activité. En particulier, le niveau d’abstraction des informations recueillies peut varier. Dans le cas où les traces sont utilisées par le système pour assister l’utilisateur, mais sans qu’elles lui soient présentées, les calculs étant faits sur les fichiers logs, le système récupère les informations issues des calculs pour agir sur les interfaces. Dans ce cas, la question du niveau d’abstraction des traces ne se pose donc pas puisque ce n’est pas un humain qui les reçoit. Si il existe un modèle de l’utilisateur, ou bien si il y a un moteur de raisonnement à partir de cas, le système pourra prédire ce que l’utilisateur fera, soit pour avoir une session d’utilisation « réussie », soit en fonction de ce qu’il a fait auparavant, ou bien encore selon ce que d’autres utilisateurs avec un « profil » similaire ou dans une situation proche ont fait. Il pourra ensuite lui faire des suggestions d’actions. En revanche, dans le cas où les traces sont présentées soit à l’analyste de la situation ou bien à l’utilisateur, les questions de leur niveau d’interprétation, de leur mise en forme puis de leur visualisation se posent. Dans le cas de traces présentées au chercheur ou, de manière plus générale, à l’analyste de la situation, les traces d’interactions peuvent être simplement reconstruites ou plus finement interprétées par le système, en fonction des objectifs d’analyse. Si l’analyste a des hypothèses de recherche pré-expérimentales, il peut faire un modèle de traces en fonction de ses attentes et l’implémenter afin que le système n’enregistre puis ne lui « sorte » que les informations qui l’intéressent, filtrées, mises en forme voire directement annotées. Dans le cas où les traces sont adressées à l’utilisateur, elles peuvent également être plus ou moins interprétées par le système en fonction du type d’utilisateur (âge, expertise éventuelle, proximité culturelle avec la tâche, etc.), en fonction de ce que l’on suppose que cela va susciter chez lui, et également en fonction de l’approche théorique d’assistance que l’on adopte. Dans certains systèmes, d’apprentissage ou non, on trouve des traces interprétées qui sont des « profils ». Pour une application donnée, ces traces contiennent des informations sur l’utilisateur, sur les dernières actions qu’il a effectué avec l’application. L’idée des profils est que la présentation à l’utilisateur d’une trace interprétée de son activité va le guider et susciter une prise de conscience de son activité. Les traces peuvent aussi être présentées à l’utilisateur dans leur forme « brute ». Nous ne pensons pas aux fichiers logs, qui sont au mieux inutilisables car incompréhensibles et au pire une gêne pour l’activité, mais aux traces d’interactions qui, dans certains systèmes, se trouvent de facto présentes à l’interface. C’est le cas de certaines interfaces pour les activités conjointes et en particulier de certaines interfaces communicationnelles, comme les éditeurs de textes collectifs ou les chats où l’utilisateur voit constamment à l’écran les traces « brutes » de ce qu’il a fait précédemment, ainsi que les traces des actions des autres utilisateurs puisqu’il s’agit dans ce cas d’activités conjointes.

Nous avons montré qu’il existe différents niveaux d’abstraction dans les traces d’interactions qui sont utilisées dans les systèmes informatiques, et que ce niveau varie selon l’usage qui est fait de ces traces. Ce sont aux traces « brutes » que nous nous intéressons dans ce travail, et plus spécifiquement à celles qui apparaissent de facto à l’interface de certaines applications d’activité conjointe. Ces traces d’expériences d’interactions correspondent aux « historiques » et à ce que Wexelblat (1998) nomme « histoire interactionnelle ». Ces traces sont des inscriptions par et dans le système des expériences d’interactions utilisateur(s)-système. Les expériences sont inscrites dans le système, et elles sont ensuite décrites par lui.