5.2.3. Théorie de la trace et modèle Musette

Dans le cadre des recherches sur le traçage des interactions, le modèle Musette a été développé dans le but de modéliser l’utilisation d’un système par un (ou des) utilisateur(s) pour pouvoir la tracer (Champin et al., 2003), dans un objectif de réutilisation des traces. Nous présentons ici les principes de ce modèle. Musette est une approche pour modéliser l’expérience de l’utilisateur, dans l’optique de réutiliser cette expérience comme une source de connaissances, en contexte, et en cours de réalisation de la tâche. Cette approche est basée sur le traçage des interactions, conformément à un modèle d’utilisation du système qui décrit les objets et relations manipulés par l’utilisateur. Les traces peuvent être visualisées, intégrées à une base de connaissances non-orientée tâche, et peuvent être ensuite analysées grâce à des signatures de tâches, ou « extasi » (explained task signatures). L’objectif est de repérer l’émergence d’épisodes d’interaction signifiants pouvant être réutilisés par un assistant logiciel en tant que « morceaux » de connaissances utiles en contexte. Musette vise donc à représenter l’expérience concrète, en lien avec son contexte d’utilisation. Nous décrivons ici rapidement le principe et le vocabulaire de Musette.

Un utilisateur interagit avec un système, ce qui entraîne des modifications du système. Un agent observateur observe les changements produits par l’interaction utilisateur/système. C’est cet agent qui est chargé de construire la trace des interactions. Pour créer l’agent observateur, il faut d’abord répondre aux questions : de quoi la trace est-elle faite ? Et comment la trace est-elle construite ?

Pour savoir comment la trace est construite, il faut définir un modèle d’observation (MO), qui doit être décrit comme spécifiant les objets d’intérêt (OI) qui sont signifiants à tracer, grâce à des règles devant être codées « dans le dur » du système. C’est selon le MO que les changements du système liés à son utilisation par un utilisateur sont observés. L’agent observateur génère une trace primitive des interactions. Une trace correspond à une alternance d’ « états » et de « transitions » du système.

Pour savoir de quoi la trace est faite, il faut définir un modèle d’utilisation (MU), qui en quelque sorte une ontologie du système observé, décrivant quel type d’entités, évènements ou relations sont observables pour produire la trace. La trace primitive construite est conforme au modèle d’utilisation (MU). La granularité du modèle d’utilisation est importante. Si le MU est trop général, les tâches seront difficilement délimitables et les épisodes peu réutilisables car trop vagues. Si le MU est trop spécifique, certaines tâches en dehors de celles qu’il définit ne seront pas détectées.

La trace primitive est composée d’objets d’intérêt. Ce sont des objets qui font sens pour l’utilisateur et pour le système. Ces objets sont des entités, des évènements ou des relations. Ce sont des objets « présents » pour l’utilisateur lors de son interaction avec le système. Les entités représentent un « état » du système à un moment donné. Ce sont des objets « apparaissant » ou « ayant lieu » lors de l’interaction. Les évènements représentent une « transition » entre deux états à un moment donné. Les relations sont de type binaire et peuvent impliquer des entités ou des évènements.

Un analyseur de traces extrait des morceaux de la trace primitive qui sont signifiants. Les « morceaux » de trace signifiants sont appelés « épisodes ». Ils correspondent à n’importe quelle partie de la trace correspondant à une expérience spécifique dans la réalisation de la tâche et pouvant être réutilisée dans une autre situation. Les épisodes liés à une même tâche partagent certains traits, impliquent le même style d’entités et d’évènements, co-apparaissent ou apparaissent selon une séquence donnée…

Ces épisodes repérés peuvent être « expliqués » ou annotés comme des occurrences d’une tâche en cours d’exécution et pour signifier leur représentativité vis-à-vis de cette tâche. Les signatures de tâches expliquées permettent à l’analyseur d’extraire ces parties de la trace. Ce sont des ensembles de traits pertinents « signant » ou permettant de reconnaître les morceaux de la trace porteurs de sens. Leur instanciation dans la trace est un signe que la tâche à laquelle elles font référence a eu lieu.

Le modèle Musette poursuit l’objectif de modéliser l’utilisation d’un système par un utilisateur, à partir d’informations provenant d’expériences d’utilisation réelles, et signifiantes selon les deux « points de vue », c’est-à-dire aussi bien pour l’utilisateur que pour le système.

L’usage d’un environnement informatique possède en effet deux versants selon que l’on se place selon le point de vue du concepteur ou de l’utilisateur (Mille et Prié, 2006). Le système informatique est conçu sur la base d’analyses a priori par les concepteurs de l'activité des futurs utilisateurs, selon leurs logiques de conception. De la même manière, le système informatique est perçu par les utilisateurs selon leurs logiques d’utilisation propres à chacun et à chaque usage.