5.4. Engendrer des artefacts mémoriels

Les traces des expériences passées sont des éléments de mémoire du sujet en activité. Les activités, situées socialement et techniquement, sont de nature collective. Ainsi, les traces constituent pour nous des éléments de « mémoire collective » au sens de Havelange (1999). La mémoire collective est constitutive de la cognition, et elle désigne « la genèse collective des conditions de possibilité de la mémoire qui, en tant qu’acte vécu, ne peut être qu’individuelle voire personnelle » (Havelange, op. cit., p. 9). Selon cette perspective, la mémoire est une actualisation dans le présent de traces matérielles issues du passé et « collectivement inscrites sur des supports techniques ». La mémoire ne serait pas une sous-catégorie de la cognition, mais une « invention » (Rosenfield, 1989, cité dans Havelange, op. cit.), elle serait constitutive de la cognition. C’est une condition de possibilité de présence, qui fait intervenir conjointement un individu singulier et une collectivité. La phénoménologie de Husserl fait appel à des concepts de rétention et d’intentionnalité, qui expriment que toute expérience dans le présent comporte une rétention, et un enchaînement avec les expériences passées et futures. Rabardel (1999) parle de mémoire technique comme anticipation du futur. La mémoire s’appuie sur des supports techniques, qui permettent différentes répétitions du passé. Et ces supports techniques, constitutifs de la cognition, prolongent les organes corporels à la manière de prothèses, et sont les lieux d’inscription des cognitions. En tant qu’artefacts mémoriels, les traces de l’activité que le sujet perçoit le mettent en relation avec son passé et avec son futur. Elles sont de nature mémorielle, en tant que conditions de possibilité de la cognition dans le présent. Toutes les potentialités herméneutiques sont dans les objets techniques, comme des limites liées aux contraintes des objets, mais aussi comme potentialités d’actions et de constitution par individuation, ce que Havelange (1999) nomme le caractère instauratif de la technique. Les objets techniques sont ainsi ressources et sources pour l’activité. Ressources en tant qu’ils sont constitutifs de l’activité en cours, et sources car ils sont des constituants de la suite de l’activité, ils sont à l’origine de nouvelles tournures pour l’activité.