6. Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons vu dans quels contextes la mobilisation des expériences d’interactions peut advenir en cours d’activité médiée. Nous avons affirmé que pour nous, il s’agit davantage d’une activité de mobilisation de l’expérience plutôt que de « réutilisation », bien que ce soit le terme utilisé en informatique. Nous avons proposé une classification des logiciels qui tracent les interactions utilisateurs-système, selon l’usage qui est fait des traces dans ces systèmes. Certains de ces systèmes proposent une visualisation des traces à l’utilisateur, en vue de leur permettre d’avoir une activité meta sur leur activité, et font appel aux concepts de métacognition et de réfléxivité. Nous avons précisé que pour nous, une activité réflexive est davantage qu’une activité tournée vers soi, c’est une activité qui se prend elle-même pour objet, l’idée étant alors que le système informatique est un « miroir doté de mémoire » pour l’utilisateur. Nous avons montré que les traces informatiques peuvent avoir différents niveaux d’abstraction, selon le niveau d’interprétation souhaité par le concepteur du logiciel. Ce sont les traces peu interprétées, « brutes » qui nous intéressent dans notre recherche. Plus précisément, ce sont celles qui apparaissent de facto à l’interface des logiciels que nous utilisons, en cours d’activité. Il s’agit d’un éditeur de texte conjoint et d’un chat. Les traces brutes que nous étudions sont des traces de l’activité conjointe puisque les actions communicationnelles des différents utilisateurs y apparaissent. Nous intéressant à l’utilisation précise qui est faite d’un dispositif numérique conjoint en tant qu’instrument, et à son appropriation par les utilisateurs, nous avons formulé l’hypothèse que la présentation aux utilisateurs des traces d’interactions peut jouer le rôle de « facilitateur » d'appropriation de l’environnement informatique.

Les acteurs, situés dans un contexte socio-technique, interagissent avec les autres sujets de la situation. En particulier, ils agissent avec et via les artefacts matériels et/ou symboliques, et avec les autres acteurs. Nous souhaitons ici préciser le vocabulaire que nous allons utiliser dans la partie empirique pour parler des traces. Les « traces » informatiques correspondent à des séquences d’informations inscrites par et dans le système, qui sont relatives à l’utilisation qu’un (ou plusieurs) individu(s) en a (ont) fait. Ce sont les informations liées à l’utilisation d’un système informatique que Wexelblat (1999) nomme « histoire interactionnelle ». Pour nous donc, « traces » et « histoires interactionnelles », ou historique d’interactions, sont synonymes. Nous considérons ces informations comme des indicateurs de l’expérience d’utilisation du système vécue par l’utilisateur. Ainsi pour nous, les « traces informatiques d’activité instrumentée » ou « histoires interactionnelles » sont des traces d’ « expérience(s) » d’interactions utilisateur(s)-système.

Dans le chapitre suivant, nous présentons notre problématique de recherche en montrant comment les quatre domaines de recherche que nous avons présentés dans les trois chapitres d’état de l’art sont mobilisés dans notre recherche : l’utilisation des traces informatiques en interaction homme-machine qui est le thème du troisième chapitre ; l’approche « non mentaliste » de la cognition et le paradigme de la cognition située et distribuée, ainsi que le champ de recherche sur l’appropriation des outils et des instruments en tant que processus constitutif de toute activité médiée, abordés dans le deuxième chapitre ; et enfin le champ de recherche sur l’apprentissage humain et le développement, exposé dans le premier chapitre.