5.3.1. Transcription de l’extrait 3

5.3.2. Analyse de l’extrait 3

Comme dit précédemment, cet extrait commence à un moment de l’activité où la rédaction du mode d’emploi dans l’éditeur de textes a déjà été entamée, et où les participantes poursuivent la rédaction de la première étape du mode d’emploi.

Pour débuter cet extrait, Yildun formule un énoncé dans le chat privé en Y74a, annonçant qu’elle continue la production du mode d’emploi « je tente la suite ».

Nous voyons là l’utilisation par Yildun du pronom personnel de la première personne du singulier « je ». Elle avait déjà utilisé ce pronom en Y22 dans le premier extrait, puis elle avait utilisé un « on » en Y38 dans le deuxième extrait, comme Rastaban l’avait fait en R21. Quel est le statut de ce « je » dans le production de Yildun ? Puisqu’il a déjà été employé dans les interactions précédentes, et que Yildun a également employé un autre pronom, cette alternance, ce retour du pronom « je » marque-t-il un cycle ou une régularité dans la succession ? Nous espérons trouver des éléments de réponse dans la suite de l’analyse. Par ailleurs, attachons-nous plus précisément au contenu de l’énoncé Y74a. Yildun utilise le verbe « tenter ». Ce verbe n’est pas sans nous rappeler le verbe que Yildun avait utilisé en Y22 avec le « je », le verbe « essayer ». Nous pensons qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence. Mais que, à nouveau, ce « je » plutôt engageant est modéré par le verbe du groupe nominal, exprimant une prise de risque dans l’entreprise d’une action « périlleuse ».

Yildun publie de suite son énoncé en Y74b. Rastaban formule à son tour un énoncé en R75a « uioio », qu’elle publie.

Cette production semble « étrange », mais nous ne pouvons en dire davantage à cet instant.

Tout de suite après, Rastaban énonce en R76a un « oui » qu’elle publie dans la foulée.

Ce « oui » vient premièrement indiquer le sens de la production précédente « uioio ». Il s’agissait, nous semble-t-il, d’un « oui » mal saisi. Deuxièmement, ce « oui » vient donner après coup un statut de proposition à l’énoncé de Yildun Y74 « je tente la suite », Rastaban acquiesçant à cette proposition. Troisièmement ce « mode » de rédaction conjointe entre Yildun et Rastaban nous rappelle celui qu’elles avaient utilisé dans l’extrait 1 en Y22 / R23. Nous supposons en effet ici que, de même qu’en milieu d’extrait 1, l’activité de Rastaban et Yildun s’oriente vers sa facette productive, cette manière d’échanger au sujet de la rédaction du mode d’emploi montrant selon nous un engagement des participantes dans la production du texte. Et il nous semble que cet engagement dans l’activité, à ce moment surtout exprimé par Yildun par son « je », est tout de même ratifié par Rastaban via son « oui ».

Yildun va ensuite positionner son curseur dans l’éditeur de textes. À la suite de la dernière production dans l’éditeur de textes, qui était celle de Rastaban, Yildun produit un « puis » dans l’éditeur de textes en E2-Y77a. Mais alors que Yildun marque une pause dans l’activité d’une vingtaine de secondes, Rastaban produit en R78 une série de points d’interrogation « ????????????????????????? ».

Que signifie cette production de Rastaban ? Est-ce un questionnement au sujet du « puis » inscrit par Yildun dans l’éditeur ? Au sujet de la pause que Yildun marque après le « puis » ? Nous ne pouvons le dire.

Yildun a repris sa production dans l’éditeur en E2-Y77b « rassemblez » alors que , immédiatement après sa publication des points d’interrogation, et de manière concomitante à l’action E2-Y77b de Yildun, Rastaban publie en R79 « tu ten sor ».

Cette production R79 vient nous apporter des éléments de compréhension de la précédente publication de points d’interrogation. Via cette production, nous comprenons en effet que la série de points d’interrogation concernait la pause de Yildun après sa production de E2-Y77a « puis ». Cette production R79 apporte aussi à R78 le statut de demande de commentaires au sujet de E2-Y77a.

Yildun continue sa production dans l’éditeur de textes en E3-Y77c « les angles vers le centre ainsi marqué..... ».

Ces points de suspension ne nous semblent pas anodins, mais nous ne savons qu’en dire à cet instant.

Yildun va ensuite dans son chat privé et formule une suite au mode d’emploi en Y80 « on obtient normalement un carré plus petit ».

Cette production Y80 nous inspire plusieurs remarques. Premièrement, les points de suspension nous semblent, rétrospectivement, qu’ils préfiguraient le fait que Yildun passe de l’éditeur de textes au chat. Mais pourquoi Yildun va-t-elle dans son chat privé pour saisir cet énoncé alors qu’elle était en train de rédiger dans l’éditeur ? Est-ce une demande d’avis formulée à Rastaban ? Nous le pensons. Deuxièmement, au niveau du contenu de cette production, Yildun emploie un « on ». C’est la première fois depuis le début de l’activité qu’un « on » est utilisé dans une phrase destinée au tiers adressé. Certes cette phrase n’est, à ce moment, pas dans l’éditeur. Mais on peut supposer qu’elle y est destinée. Nous verrons ce qu’il en advient par la suite.

Au même instant, Rastaban formule en R81a dans son chat privé un énoncé « fo encor pliez les deux angles ki non po ete pliez ». Yildun publie sa production Y80, et Rastaban publie de suite R81.

Il nous semble que l’énoncé R81 ne concerne pas la production Y80 de Yildun, mais sa production dans l’éditeur de textes, E3-Y77c. L’énoncé R81 marque selon nous que Rastaban n’approuve pas la production E3-Y77c de Yildun « les angles vers le centre ainsi marqué..... », comme si ce « centre » ne pouvait être repéré avec les seules indications qui précèdent cette production.

À la publication de cette production, Yildun visionne le moment de la vidéo du pliage origami qui correspond à la partie qu’elles sont en train de décrire, puis elle modifie sa production dans l’éditeur de textes en E2-Y77d, en modifiant « les angles » en « les 4 angles ».

Cette modification opérée par Yildun en E2-Y77d nous amène à formuler quelques commentaires. Nous interprétons que, par cette modification directement dans l’éditeur de textes mais faisant suite à une production de sa partenaire, Yildun vient peut-être apporter cette modification de manière consécutive à R81. Par ailleurs, cette modification intervient directement dans l’éditeur de textes, tourné vers le tiers adressé, alors que Rastaban n’en connaît pas le contenu. Il nous semble qu’à ce moment, Yildun investit pour la première fois dans l’activité l’éditeur de textes comme un espace de « brouillon », puisqu’elle y inscrit une production au sujet de laquelle sa partenaire ne s’est pas exprimée. Il nous semble ainsi qu’à cet instant, l’éditeur de textes change de statut dans l’activité. Il nous semble qu’il prend le statut d’aire de manipulation en plus du statut d’aire d’inscription du mode d’emploi. Ce changement de statut marque selon nous l’instrumentation d’un espace en « brouillon », par l’assimilation de l’espace éditeur de textes à cette utilisation en brouillon. En même temps, il nous semble que par cette utilisation de l’éditeur en « brouillon », l’éditeur est enrichi de propriétés, il devient un moyen différent pour l’activité, dans laquelle il est instrumentalisé. Nous pensons que cette instrumentation et cette instrumentalisation de l’éditeur de textes montrent que la genèse instrumentale du dispositif technique se poursuit en cours d’activité des participantes.

Yildun formule et publie ensuite dans le chat Y82 « c'est plus clair si on dit les 4? ».

Voilà ce que nous souhaitons dire de cette production Y82. Elle vient éclairer la modification que Yildun a faite dans l’éditeur de textes en E2-Y77d. Il semble que cette modification a précisément suivi la production R81 de Rastaban, et est venue stabiliser l’énoncé R81 en le confirmant par une opération dans l’éditeur. Enfin au niveau du contenu, Yildun utilise un « on ». Que marque-t-il ? Nous pensons qu’un « je » se cache derrière ce « on », car c’est Yildun qui écrit dans l’éditeur (et non pas « dit »).

À la question de Yildun Y82, Rastaban s’appuie à son tour sur le visionnage du moment de la vidéo origami qui concerne l’étape qu’elles décrivent et dans le chat, et acquiesce à la demande de Yildun en publiant en R83b « oui ».

Par cet échange Y82-R83, tout se passe comme si cette phrase du mode d’emploi était entérinée par les deux participantes qui passent à la suite du mode d’emploi.

Yildun revient ensuite précisément sur ce qu’elle avait publié dans le chat en Y80 avant que Rastaban ne formule une requête de modification en R81, et re-mobilise cette production qui lui est propre. Elle en copie l’inscription « on obtient normalement un carré plus petit », puis la colle ensuite dans l’éditeur de textes.

Cette utilisation opératoire de traces d’interactions nous intéresse selon plusieurs points de vue. Premièrement, cette trace est une trace du chat publié, elle est donc principalement adressée à Rastaban, mais Yildun en est une adressée aussi. Cette mobilisation de sa propre trace par Yildun montre selon nous une utilisation « augmentée » de la trace, une répétition au-delà de la répétition. En effet, la première production en Y80 était une proposition formulée à Rastaban dans le chat pour une suite possible à donner au mode d’emploi, qui reste dans l’espace conversationnel. Mais au moment où Yildun la colle dans l’éditeur de textes, elle prend un statut plus finalisé, car elle se trouve directement notée dans l’espace d’inscription, qui est adressé au tiers. Pour le même contenu de la trace, nous voyons que le changement de son espace d’inscription entraîne une transformation du statut de la trace dans l’activité. Nous supposons que cette trace est ainsi un intermédiaire à la conduite de l’activité, entre Yildun et l’environnement de l’activité. Cette intermédiation concerne selon nous le versant situé de l’activité cognitive de Yildun, c’est-à-dire son ancrage matériel dans le dispositif numérique. Enfin, par ce collage, la phrase « on obtient normalement un carré plus petit » est maintenant dans l’éditeur de textes, destinée au tiers adressé. C’est la première phrase du mode d’emploi qui contient un « on ». Est-ce parce qu’elle a été copiée depuis le chat et qu’elle n’était initialement pas destinée au tiers ? Ce « on » sera-t-il modifié dans la suite de la construction du mode d’emploi ? Ce « on » marque-t-il un engagement des participantes qui se « mettent à la place » du tiers ? Cache-t-il un « vous » ? Nous ne le savons pas. Seule l’analyse de la suite des interactions pourrait le dire. Enfin, nous remarquons que les points de suspension de la production E3-Y77c de Yildun n’ont pas été supprimés par Yildun. Est-ce parce qu’elle a souhaité les laisser ? Parce qu’elle a fait un copier-coller et qu’ainsi elle a été moins attentive à la phrase précédente dans l’éditeur ? Nous ne pouvons le dire.

L’extrait s’arrête ici car bien qu’apparaissant sur la transcription de l’extrait, nous ne parlerons pas de l’énoncé R85a que Rastaban saisit dans son chat privé, et qui ne peut donc pas avoir d’incidence dans l’activité de Yildun puisqu’il lui est imperceptible.