Chapitre six – Discussion générale et conclusion

1. Résumé et synthèse

Le but principal de cette thèse était d’apporter des éléments de compréhension concernant l’utilisation des traces d’interactions et les processus cognitifs qui y sont associés dans le cadre d’une activité conjointe, et médiée par un artefact numérique. Pour cette recherche, nous avons mobilisé plusieurs domaines de recherche :

Le domaine de l’utilisation des traces informatiques en interaction homme-machine est venu nous apporter des connaissances sur les utilisations des traces d’interactions que certains systèmes proposent aujourd’hui. Nous avons vu que les systèmes traçants pouvaient être utilisés pour des activités et dans des contextes très différents, en particulier selon le fait de présenter ou non aux utilisateurs les traces d’interactions.

L’approche « non mentaliste » de la cognition et le paradigme de la cognition située et distribuée nous a guidée quant à la façon d’aborder l’activité que nous avons étudiée. Résolument ancrée dans la matérialité du dispositif numérique et distribuée entre les actants de la situation, nous avons cherché à voir comment l’activité se développait, en lien avec ses constituants socio-techniques.

Le champ de recherche sur l’appropriation des outils et des instruments en tant que processus constitutif de toute activité médiée est venu préciser notre approche située et distribuée, et nous apporter des éléments de conceptualisation des processus en jeu dans une activité conjointe, et médiée par un artefact.

Enfin, adoptant une approche développementale de l’activité, le champ de recherche sur l’apprentissage et le développement humains nous a permis d’asseoir nos analyses en termes de développement de l’activité et développement des participants, et de mettre en lien les notions des champs précédents, que nous avons mobilisé avec en toile de fond les concepts d’apprentissage et de développement humains.

Nous avons adopté une démarche pluridisciplinaire dans ce travail, reposant sur les sciences de l’éducation, l’informatique et la psychologie de l’activité. Cette approche était selon nous un bon moyen de dévoiler, de comprendre et de qualifier les processus cognitifs mobilisés dans l’utilisation des traces d’interactions. L’idée de notre travail était de faire le lien entre ces domaines de recherche et ces disciplines, autour de notre objectif d’étude. Par ailleurs, nous avons choisi une approche qualitative très fine pour nos analyses, dont l’objectif n’était pas de mettre en évidence des invariants, mais de produire des interprétations micro sur les interactions observées.

Au cours de notre travail, guidée par les domaines de recherche mentionnés ci-dessus, nous nous sommes attachée à apporter des éléments de réponses à nos questions de recherche, concernant d’une part la compréhension du rôle et du statut de la trace dans les interactions entre un utilisateur et un dispositif numérique et d’autre part la mise en évidence du caractère situé, distribué et opportuniste de l’activité conjointe étudiée. Nous nous sommes centrée en particulier sur les éléments suivants.

La mise en place d’une situation de co-réaction conjointe et instrumentée naturelle, bien que soumise à un examen minutieux dans sa mise en place, qui nous permette de mettre à l’épreuve nos questions de recherches selon une perspective de cognition située et distribuée.

Des méthodologies d’observation, de traitement et d’analyse des obtenues de la mise en situation autorisant une analyse ethnométhodologique de l’activité.

Le point de vue toujours développemental, interactionniste et constructiviste de nos études.

Les questions de la mobilisation de l’expérience et de la prise de conscience meta à travers l’utilisation des traces d’interactions par les participants, comme indices du développement des participants.

Les questions de genèse instrumentale et d’appropriation du dispositif numérique par les participants, en particulier via les traces d’interactions utilisateur – système informatique.

La perspective « apprentissage et développement humains » de nos analyses.

Les principales contributions que nous avons pu dégagées de cette recherche peuvent être résumées par les quelques points qui suivent.

Concernant les aspects théoriques, nous avons le sentiment d’avoir apporté les éléments suivants. Ce sont selon nous des aides nouvelles à la compréhension aux questions de recherche que nous avons exposées dans notre problématique.

Une contribution à la mise en liens des disciplines que nous avons mobilisées autour de notre problématique recherche.

Une contribution originale à la mise en évidence d’évènements dans l’utilisation des traces informatiques, grâce à des outils ethnométhodologiques.

Une contribution à l’étude du rôle que peut avoir la visualisation des traces informatiques dans la prise de conscience meta de l’activité par les sujets. Ces traces peuvent en effet jouer le rôle de « miroir doté de mémoire » pour les utilisateurs.

Une contribution à l’étude du rôle des traces informatiques, en tant qu’inscriptions de l’activité visibles par les utilisateurs, et pouvant favoriser la genèse instrumentale d’un dispositif numérique et ainsi favoriser son appropriation.

Une mise en évidence que l’activité étudiée se développe au cours du temps et, par l’alternance dans l’utilisation des espaces, que cette activité possède un caractère opportuniste, situé et distribué.

Une proposition de typologie des traces et de leur utilisation dans cette activité. Nous avons montré qu’il est sensé de distinguer les propriétés des traces selon l’utilisateur à l’origine des traces, selon l’espace dans lequel apparaissent les traces, et selon l’utilisation qui en est faite par les utilisateurs. Ces propriétés nous ont permis de qualifier les accomplissements étudiés dans les extraits de la session d’activité.

L’observation de l’utilisation des traces d’interactions que nous avons menée, et la qualification des utilisations observées que nous avons réalisée, participent selon nous à une meilleure compréhension du rôle des interactions entre sujets et entre sujets et artefacts dans le développement potentiel des sujets, car ces utilisations sont des occasions d’interactions à partir de l’expérience.

Concernant les aspects pratiques, nous estimons avoir réalisé les apports suivants.

Une affirmation que l’utilisation des traces informatiques par l’utilisateur peut favoriser son utilisation du système en diminuant l’écart entre utilisation « prescrite » et utilisation « réelle », qui est à l’origine de problèmes d’appropriation du système informatique par les utilisateurs. Ceci nous permet de penser que la compréhension fine de cette distance est un levier pour l’évaluation et la conception de systèmes. Et il est donc très probable que le fait de rendre explicite à l’utilisateur son historique d’interactions avec le système, avec la possibilité d’agir sur cet historique, est un élément à considérer comme un principe à suivre au sein du même processus de conception anthropocentré des artefacts numériques, et en particulier de dispositifs pour l’apprentissage.

Une proposition concernant la mise en place de situations d’apprentissage instrumenté. Nous avançons qu’à propos de la mise en place de telles situations, le choix de dispositifs numériques offrant de facto une visualisation des traces d’interaction peut permettre aux apprenants de prendre du recul quant à leur activité et d’avoir un meilleur contrôle de leur apprentissage en tant que processus situé dans le temps et dans les espaces numériques proposés.