2. Hypothèses

Dans ce contexte, je proposerai trois premières hypothèses, desquelles dériveront plusieurs hypothèses secondes :

  1. Ce n’est pas exclusivement l’univers propre à l’enfermement – subi ou volontaire – qui déshumanise ; cet enfermement finalement second réactiverait les traces d’un vécu primaire d’enfermement, d’étouffement et de non accès à une subjectivité humanisante. - L’auto-enfermement représenterait une défense, un type de liaison primaire non symbolique, plus précisément un mécanisme de neutralisation énergétique pour lutter contre le retour d’un état traumatique antérieur clivé de la psyché. Il constituerait une stratégie d’appoint à côté d’une solution somatique qui lui préexisterait. - L’enfermement subi venant annihiler le système de défense – système en étayages sociaux pour la clinique concentrationnaire, du côté de l’anti-socialité pour la clinique carcérale – organisé pour lutter contre un traumatisme primaire clivé, le sujet serait confronté à la menace d’un retour catastrophique de ses expériences traumatiques antérieures clivées de la psyché.
  2. L’état traumatique primaire et le clivage qui lui est consécutif généreraient un fantasme de retour in utero, un fantasme de toute-puissance et d’immortalité ainsi qu’un fantasme de scène primitive, chacun selon une forme très spécifique. Les deux premiers fantasmes participeraient du mode de fonctionnement post-traumatique courant dans ces conjonctures psychiques, alors que le troisième fantasme tel qu’il est organisé témoignerait précisément du traumatisme primaire. - Le fantasme de retour dans le sein maternel représenterait, dans une fonction défensive, tout à la fois un désir de retrouver l’unité narcissique primaire et de s’extraire de la confusion menaçante d’avec une imago maternelle étouffante. Dans une fonction représentative, il permettrait de retourner vers l’origine pour tenter de renaître, de dépasser le clivage, de se réunifier. - Le fantasme de toute-puissance et d’immortalitépermettrait de lier ce retour mortifère vers l’origine, vécue comme une expérience primaire de radicale impuissance, à des représentations de toute-puissance et d’immortalité. - Le fantasme de scène primitive échouant à s’organiser comme un fantasme, révèlerait une scène originaire mortifère, dans laquelle origine et mort se trouveraient confondues. En ce sens, l’enfermement représenterait une figure de l’intransformable de la scène primitive.
  3. L’écriture constituerait une solution alternative aux modes habituels d’organisation narcissique dans la mesure où elle serait porteuse de l’espoir – du fantasme ? – de travailler dans l’œuvre les correspondances entre l’expérience tardive d’enfermement et les expériences plus précoces, et tenter de dépasser l’intransformable de la scène primitive. - L’écriture signerait les retrouvailles avec la mère première. Ecrire permettrait de retourner dans le sein maternel pour revivre ce qui a échoué à se jouer dans la relation à l’objet primaire et tenter de représenter enfin la part insaisissable de soi. - L’écriture conférerait au sujet l’omnipotence là où dans les expériences historiques traumatiques, le sujet a été confronté à une situation de détresse et d’impuissance. D’une part, ce qui revient de l’expérience agonistique – le retour du clivé –, le sujet tenterait de le maîtriser par le biais de l’écriture ; d’autre part, ce que le sujet a vécu passivement dans sa relation à l’objet maternel, il le ferait vivre activement à son lecteur. - L’écriturereprésenterait une autre scène primitive. La scène de l’écriture s’infiltrerait de la scène primitive – c’est la contrainte de répétition qui joue –, mais pourrait aussi se constituer comme une nouvelle scène primitive – fonction de re-présentation – où le sujet se ré-originerait.