1.3.1. Ecrire pour s’évader.

Il est vrai que pour penser ce dispositif je m’étais appuyée sur mon expérience précédente du milieu carcéral – au SMPR (Service Médico-Psychologique Régional) d’une Maison d’Arrêt –, où plusieurs participants de l’atelier d’écriture écrivaient avec l’objectif avoué de faire publier leurs écrits.

Je m’attendais donc à rencontrer dans une autre M. A. ce même profil de participants alors qu’en fait les détenus rencontrés m’ont expliqué qu’ils se sont inscrits à l’atelier et ont accepté de participer à la recherche proposée pour « sortir de leur cellule », ou encore « se changer les idées ». Plusieurs hypothèses peuvent être avancées concernant ce décalage mais peu en importent les raisons pour l’intelligibilité de cette recherche, je n’ai pu qu’en faire le constat 2 .

Ce paramètre n’infléchit pas pour autant mon postulat de départ selon lequel il existerait un rapport étroit entre écriture et enfermement, mais il m’a fallu tenir compte de cette situation particulière qui consiste à étudier la fonction psychique de l’écriture chez des sujets qui n’écrivent pas spontanément mais plutôt répondent à une demande qui leur a été faite.

Dans le premier dispositif – D.E.A. – j’interpellais les détenus sur un « donnez moi ce que vous écrivez » leur accordant d’emblée le statut d’écrivain, alors que dans le deuxième dispositif – Doctorat – que je mettais en place, je les sollicitais pour « écrire dans le cadre d’une recherche sur l’écriture et l’enfermement », proposition qu’on pourrait formuler plus trivialement ainsi : « écrivez pour ma recherche ». Lors de mon premier contact avec le milieu carcéral, j’avais été enfermée dans une séduction narcissique réciproque où le plaisir partagé avec le détenu et l’admiration enveloppante révélait le besoin pour le sujet de ne former qu’une seul corps avec l’objet – et dont le prototype est l’admiration mutuelle existant entre la mère et son bébé.

Cette sidération dans laquelle j’avais été engluée tout un temps, nous la retrouvons aussi chez les détenus car si leur intérêt pour l’écriture n’est que médiocre, la littérature et les écrivains n’en exercent pas moins sur cette population une certaine fascination.

Notes
2.

On pourrait trouver une explication dans le fait que la Maison d’Arrêt de La Talaudière étant plus moderne que la prison dans laquelle j’ai fait mon premier recueil de matériel, elle inciterait peut-être moins à la créativité. Un autre facteur a pu jouer : comme j’ai pu élaborer chez moi le fantasme de trouver une clé pour écrire... on peut supposer que les détenus étaient moins enclins à entrer dans mon désir de trouver des écrivains en eux. Pourtant, on peut noter un rapport de symétrie inversée entre « le détenu qui entre en écriture avec le fantasme de trouver une issue à l’enfermement » et « le chercheur qui entrerait en prison pour trouver une clé pour écrire ».