2. Sur la spécificité de ces fantasmes

Comment expliquer que nous retrouvions ces trois fantasmes dans l’ensemble de notre clinique ? Pourquoi ces mêmes fantasmes, avec des contenus relativement similaires ?

Permettraient-ils de symboliser l’enfermement vécu par le sujet ? Enfermement physique autant que psychique ? En effet, comment un sujet confronté à l’enfermement peut-il symboliser cette situation ?

Plusieurs réponses peuvent être proposées : celle du côté des problématiques autosensuelles de l’autisme, celle du côté de l’analité et celle du côté de la scène primitive correspondant à trois fantasmes : fantasme de retour in utero, fantasme de toute-puissance et fantasme de scène primitive.

Il semblerait que ces fantasmes organisent, selon un réseau d’intrication particulier, l’espace psychique des pathologies narcissiques identitaires mieux que ne le feraient les trois fantasmes originaires classiques. Il s’agirait alors du mode d’expression de la singularité du monde interne du sujet, lorsque c’est l’angoisse de perte d’objet, voire de mort qui domine et non pas l’angoisse de castration.

Lorsque le sujet échoue à donner « une figurabilité fantasmatique « suffisante à l’absence, selon l’expression de C. Couvreur, on va trouver une intrication pathologique entre pulsions de vie et pulsions de mort dont les fantasmes « originaires « porteront une trace spécifique. L’objet n’est pas suffisamment différencié, ou il est perdu – car perdu de vue et non valablement introjecté (1991, pp. 1079-1094)

Ne pourrait-on pas penser ces fantasmes comme des fantasmes où la mort est présente dès l’origine ? Ainsi C. Couvreur note-t-elle à propos des trois fantasmes originaires oedipiens : « S’ils évoquent les commencements, ils révèlent aussi l’inconnu qui borne les deux extrêmes de notre vie, et la « perte d’origine «, qui, selon la belle expression de J. Guillaumin, la traverse de part en part. L’assignation d’une origine, et d’une fin, les séparations et différenciations, la destructivité initiale, sont ressenties par l’enfant, comme autant de menaces pour la fragile unité narcissique initiale qu’il constitue avec sa mère « (ibid., p. 1084).

Selon D. Ribas, « La mort comme origine » représenterait « une figure de l’auto-engendrement » (1991, pp. 1237-1241).

Ces fantasmes, tels qu’il apparaissent dans notre clinique, s’ils ont bien cette fonction de recréer sans cesse l’origine, véhiculent aussi une charge « négative « mortifère, dans la mesure où l’origine aurait alors trop « partie liée avec la mort « (liaison pathologique, du côté de la déliaison au sens de A. Green). Ne peut-on pas penser que chez les sujets de notre clinique, une partie des pulsions destructrices présentes dès l’origine, n’a pu être liée par la fonction alpha de l’environnement maternant et sera donc projetée vers un autre conteneur ou contre le sujet lui-même, dans une logique de lutte pour la survie ?

Et si comme le propose A. Eiguer : «... le fantasme d’élation intra-utérine est générateur d’illusion, [qu’] il contribue à l’illusion mère-enfant, ainsi qu’aux sentiments de félicité absolue et d’éternité ; et [qu’] à ce titre, ce fantasme amène à croire à la réversibilité de la durée «, nous pouvons logiquement faire se succéder le fantasme de toute-puissance et d’immortalité – qui dénie l’irréversibilité temporelle – au fantasme de retour in utero. Ce qui, toujours selon cet auteur, ferait que « le temps du fantasme intra-utérin « représentant le « temps circulaire de l’éternel retour «, s’opposerait « au travail du fantasme de scène primitive« qui lui, organise la temporalité (1991, p. 1207).

Ainsi, s’expliquerait, pour une part, que nous retrouvions ces trois fantasmes à l’œuvre dans notre clinique, avec cette particularité que le fantasme de scène primitive y occuperait une place toute particulière, et serait porteur d’une certaine charge traumatique.

Parce que ces fantasmes ne sont pas organisés par la conflictualité oedipienne  et compte tenu des conjonctures psychiques dont il est ici question, la possibilité d’organiser ces fantasmes se heurte à des éléments irreprésentables, clivés de la psyché du sujet.

On peut penser que ces fantasmes permettraient même de lutter contre le retour du clivé ; ils organiseraient une suture du clivage pour éviter la réapparition de la souffrance agonistique.

L’une de nos intuitions, on l’aura compris à travers la lecture de nos hypothèses, c’est que la régression mobilisée par le processus créateur, pourrait permettre que se réactualise la question de l’originaire qui aura échoué à s’organiser à travers les scénarios de cette fantasmatisation des origines.

Mais laissons pour l’instant ce sujet ; nous y reviendrons dans un chapitre conclusif qui récapitulera les enjeux théorico-cliniques de ces fantasmes en lien avec l’enfermement et l’écriture. Il est temps maintenant d’entrer au cœur de notre travail, tout au moins dans le premier chapitre qui concerne la clinique de l’auto-enfermement.