2.4. Sur le fantasme de retour in utero : reproblématisation partielle.

Dans un premier temps, la clinique faisait apparaître que le retour in utero représentait une tentative pour retrouver l’unité narcissique perdue et se protéger d’une réalité externe trop menaçante. Le sujet aurait connu cette période paradisiaque, il en serait nostalgique et c’est pourquoi il souhaiterait retourner dans ce sein maternel connu et sécurisant – le versant protecteur et défensif du fantasme in utero. Une partie de mes théorisations s’inscrit dans cette logique.

Mais dans un deuxième temps, s’est dessiné un autre versant de ce fantasme, dangereux, pour le sujet – le versant étouffant. Une autre partie de mes théorisations envisage cette problématique d’un « objet insuffisamment bon ».

Dans les deux cas, le fantasme de retour in utero revêt une fonction défensive.

Mais une question se posait alors, celle de savoir pourquoi le sujet souhaitait retourner dans ce sein hostile ? Car la clinique laissait bien apparaître qu’il y avait tout de même un enjeu à y retourner, un enjeu de représentation et non pas seulement défensif. Mais comment lier deux hypothèses aussi incompatibles, a priori, entre-elles ?

Pour répondre à ces questions essentielles, il nous faut prendre le temps de rappeler plus en détail les différentes fonctions et par là même les enjeux du fantasme de retour in utero :

1) Tout d’abord, à travers le fantasme du retour in utero le sujet cherchait à retrouver un contenant psychique, un pare-excitation qui lui avait fait défaut.

Les murs de l’enfermement – dans la réalité physique – se sont avérés fonctionner comme conteneur . Ils remplissaient une fonction pare-excitante auxiliaire pour le sujet ; plus précisément, ils représentaient un substitut au contenant peau permettant de doubler le moi-peau trop fragile du sujet. Nous avons ainsi pu mettre en évidence que la fonction conteneur des sujets était défaillante (défaut d’introjection de la fonction contenante de l’objet primaire), que de ce fait ils pouvaient être en proie à des angoisses de vidage, de liquéfaction, d’effacement des limites, d’étouffement ; le conteneur étant soit trop percé, soit trop étanche. Les murs représentaient donc une « seconde peau « susceptible de soutenir le sentiment de soi.

Le fantasme de retour in utero – dans la réalité fantasmatique – avait plus particulièrement une fonction contenante  ; le sujet essayant de se recoller au corps de la mère, d’y retrouver une présence, une chaleur et une sécurité mais aussi une unité qu’il semblait manifestement ne pas avoir suffisamment connues dans la relation primaire à l’objet maternel – du fait d’une mère indisponible.

Nous avions encore proposé l’idée selon laquelle l’écriture était du côté du travail de contenir, idée qu’il nous faudra approfondir.

2) Ensuite, il est apparu que le retour in utero pouvait se comprendre comme un enfermement dans le Claustrum. Par le biais du mécanisme de l’identification projective intrusive le sujet habitait à l’intérieur d’un compartiment maternel.

Mais nous étions là face à une contradiction, car soit le sujet était resté enfermé à l’intérieur du Claustrum – il ne s’agissait pas d’un fantasme puisque le sujet vivait psychiquement comme s’il était dans le ventre maternel –, soit il fantasmait le retour in utero, c’est donc qu’il était déjà séparé de l’objet maternel. C’est ici qu’il nous a fallu faire intervenir la notion de clivage : nous avons proposé qu’une partie du sujet, la partie saine, fantasmait le retour in utero alors que l’autre partie, malade, clivée du reste de la psyché – dans la logique des conjonctures traumatiques primaires – était restée enfermée à l’intérieur de l’objet maternel, dans le Claustrum.

C’est ce qui nous a permis, en outre, de comprendre pourquoi le sujet se trouvait toujours dans une impasse : il se sentait soit enfermé à l’intérieur, soit enfermé à l’extérieur et dans tous les cas il étouffait ! C’est là la conséquence d’un défaut du travail de contenir ; la partie du sujet enfermée dans le claustrum se percevant prisonnière des limites, alors que l’autre partie du sujet se sentant au contraire sans limites aucunes, se trouvait menacée d’être happée par un vide terrifiant. Une partie du sujet étant trop contenue – angoisses claustrophobiques –, l’autre pas assez – angoisses agoraphobiques !

3) Enfin, le fantasme de retour in utero représentait une défense contre l’état traumatique clivé de la psyché qui du fait de la contrainte de répétition tentait de faire retour – dans une modalité de retournement où il s’agissait de maîtriser la régression plutôt que de la subir. Ce retour mortifère vers l’origine pouvait être aussi l’occasion d’une renaissance, le retour in utero constituant alors pour le sujet une tentative de se ré-originer, de faire advenir ce qui n’avait pas pu advenir de soi. Enjeu essentiel !

Et là, nous tenons déjà une partie de la réponse à nos questions ; précisément, dans le processus de retournement : le fantasme de retour in utero ne va pas simplement avoir une fonction défensive, il aura aussi une fonction de représentation. Si le sujet se voit contraint de revenir sur les traces d’une expérience aliénante, de la revivre, il a encore la possibilité de vivre activement ce qu’il a vécu passivement.

Enjeu qui est aussi un enjeu d’écriture comme nous avons commencé à le laisser entendre et comme il nous faudra l’analyser plus en détail.

En quoi l’écriture signe-t-elle des retrouvailles et en quoi est-ce que l’écriture est possibilité d’expérimenter, de vivre enfin ce qui n’a pas pu être vécu dans la relation primaire ? S’ouvre parallèlement la question du retournement pas l’écriture, la question de la maîtrise par l’écriture et de l’emprise sur le lecteur. Maîtrise que nous retrouvons jusque dans le dispositif d’écriture mis en place par les sujets qui va bien au-delà d’un simple « bricolage intuitif ».

Il est apparu au fil de notre démonstration que les murs de l’enfermement – qu’il soit volontaire ou subi – contribuaient à instaurer le dispositif nécessaire pour écrire. Les murs formaient comme un arrière-plan maternel nécessaire à la contention psychique du sujet pour que survienne l’écriture. Et nous avons pu observer que le sujet construisait un véritable dispositif symbolisant : il mettait en place l’ensemble des conditions nécessaires lui permettant de réactualiser dans un transfert sur l’écriture – et par conséquent sur ses lecteurs internes et externes – des expériences psychiques restées en souffrance de symbolisation.

L’instauration de ce dispositif participe encore, nous le verrons, d’une tentative de maîtriser la régression plutôt que de la subir, processus de retournement que nous retrouverons à l’œuvre dans l’écriture qui tente d’agir, de transmettre, de décharger à travers l’appareil de langage ce qui n’a pu être élaboré par le sujet.

C’est en effet un mécanisme de retournement en son contraire qui est ici actif sur le mode du triomphe narcissique : les expériences mortifères que le sujet a vécues et qu’il ne peut s’approprier en tant que telles ou qu’il dénie, il va les retourner en une expérience exceptionnelle qui lui permet de s’assurer d’une forme de gloire mais aussi de victoire sur l’autre.

C’est cette hypothèse d’une défense paradoxale, hypothèse de retournement et de maîtrise qu’il nous faut maintenant mettre à l’épreuve. Pour cela il nous faut en étudier les manifestations chez le sujet, autant dans son rapport à l’enfermement que dans l’écriture à travers la présence d’un fantasme de toute-puissance et d’immortalité dans la clinique.