3.3.1. Fantasme de toute-puissance et fonction de contenir

Pour D. Anzieu, nous l’avons déjà dit, cette fonction s’étayerait « sur l’emprise active de la main sur les objets » ; ce moi-main permettant de penser au sens d’instaurer des limites (1993, p. 29).

Nous avons pu comprendre que si le sujet se sentait soit enfermé à l’intérieur, soit enfermé à l’extérieur – dans une impasse ! – et qu’il étouffait, c’était du fait d’un défaut du travail de contenir. La partie du sujet qui se trouvait enfermée dans le claustrum se sentait prisonnière des limites, trop contenue et éprouvait des angoisses claustrophobiques. L’autre partie errant à l’extérieur, sans aucune limite, se trouvait menacée d’être happée par un vide terrifiant. Pas assez contenue, elle était la proie d’angoisses agoraphobiques.

C’est pourquoi nous avions posé la question de savoir si ce n’était pas ce travail de contenir que nous trouvions à l’œuvre dans l’écriture et le geste d’écrire qui lui est inhérent.

N’est-ce pas cette fonction qui est en jeu dans le Journal comme l’écrit F. Kafka, « un journal vous fournit des preuves de ce que, même en proie à des états qui vous paraissent aujourd’hui intolérables, on a vécu, regardé autour de soi et noté des observations, de ce que cette main droite, donc, s’est agitée comme maintenant, maintenant que la possibilité d’embrasser d’un seul coup d’œil notre situation d’autrefois nous a rendu plus perspicace... » (1954, p. 176).

Nous voyons comment l’appareil d’emprise – main, œil, langage – directement sollicité par l’écriture permet au sujet de ne pas étouffer dans un espace trop restreint ou au contraire trop étendu.

C’est ce même processus que nous retrouvons à l’œuvre chez M. Proust : « Comment la littérature de notations aurait-elle une valeur quelconque, puisque c’est sous de petites choses comme celles qu’elle note que la réalité est contenue (la grandeur dans le bruit lointain d’un aéroplane, dans la ligne du clocher de Saint-Hilaire, le passé dans la saveur d’une madeleine, etc.) et qu’elles sont sans signification par elles-mêmes si on ne l’en dégage pas ? Et le narrateur de préciser un peu plus loin qu’il s’agit pour l’artiste de « ressaisir » cette réalité que nous vivons (1954c, pp.894). Remarquons que les exemples choisis par l’écrivain évoquent d’un côté l’infini de l’espace – l’aéroplane –, de l’autre l’espace plus restreint du quotidien – le petit coquillage de pâtisserie.

L’écriture permet donc d’assurer une mainmise qui participe de la possibilité d’instaurer des limites entre dehors et dedans, entre sujet et objet, mais aussi de contenir la souffrance psychique.