2.1.3. Chez C. Lucas, dans Suerte.

Nous retrouvons chez C. Lucas les deux versants du fantasme de retour in utero, l’un rassurant, l’autre étouffant.

2.1.3.1. Retrouver l’étanchéité d’un sous-marin...

C. Lucas utilise à plusieurs reprises le terme de « sous-marin « pour désigner la cellule de son double-héros : « Mes conversations débats avec Paul furent ainsi, les huit mois pendant lesquels je fis partie de l’équipage du sous-marin... « ; «... ah ! le bonheur de retrouver son sous-marin et sa douillette étanchéité après ces extractions pour le Palais ! « (1995, pp. 63 et 67). Métaphore qui n’est pas sans évoquer les profondeurs de la mer(e), un univers intra-utérin qui maintient une séparation absolue d’avec le monde extérieur. Notons, au passage, la force évocatrice du substantif « extractions «, qui en suggérant des images d’arrachement, de déracinement dessine par contraste le monde du sous-marin en creux, comme une cavité naturelle où se lover.

Ailleurs, Lhorme décrit comment l’enfermement carcéral autorise l’évasion par le rêve, forme de régression où se découvre une métaphore du désir d’être dans la mère, bercé par les mouvements de son corps : « La durée intérieure prendrait alors cette forme d’une marée rythmique, flux et reflux d’images qui viennent régulièrement s’échouer à la lisière d’un présent immobile. Et ce serait le passé, que ces lambeaux d’existence arrachés à la trame du temps ; et ce serait l’avenir, que ces bouteilles à la mer, porteuses de projets, porteuses d’espérance, lâchées le soir et retrouvées le lendemain au réveil, intactes et dérisoires «.

Notons en passant le parallèle entre l’expression « bouteille à la mer(e) «, choisie par C. Lucas, mes propres associations concernant le sable de mer que l’on verse en bouteilles, lors de la première séance d’atelier d’écriture, et ce souhait que M. Proust formule dans un courrier de 1918 : « Si seulement je pouvais jeter ma bouteille à la mer, ce livre. «

La vie dans le ventre maternel est ici vécue comme un univers qui maintient une séparation absolue d’avec le monde extérieur ; c’est un lieu qui ne laisse rien pénétrer, aucun corps étranger, toute sortie ne pouvant qu’être vécue comme un arrachement.

Et le besoin d’une étanchéité absolue ne vient-elle pas palier le sous-développement de l’enveloppe pare-excitation ? Il s’agit de garantir la permanence fragile du sentiment d’identité, d’éviter l’angoisse d’écoulement, de vidage.

Mais Lhorme n’est pas dupe ; le désir de retrouver le corps maternel ne vient nourrir que les illusions, il comporte son avers, l’anéantissement de soi-même.