2.2.2. Fantasme de retour in utero et enfermement dans le Claustrum

C’est dans le rectum maternel que C. Lucas semble avoir logé une partie de sa psyché.

Le sentiment d’être piégé qui caractérise l’habitant du claustrum est bien présent chez l’écrivain C. Lucas qui évoque très souvent une absence d’issue. Et il ne nous semble pas que cet éprouvé soit simplement lié à l’incarcération, cela va bien au-delà. Ainsi, cherche-t-il une issue à son histoire, à défaut d’y trouver un sens (1995, p. 2). Il explique encore qu’il a du mal à s’extraire du puits dans lequel il s’est lui-même jeté (ibid., p. 74) ; qu’entre sa cellule de béton et une chambre d’hôtel, il n’existe qu’une différence de degré : toujours il se sent enfermé, seul et à la limite de la « désagrégation » (ibid., p.105).

La logique de survie touche à une forme paradoxale ici, puisque la mort est désirée : « j’avais délicieusement envie de mourir » explique Lhorme qui se retrouve seul dans une chambre d’hôtel lors de sa première permission de sortie » (ibid., p. 109) ; « La mort était partout présente, était partout à l’œuvre » (ibid., p. 114). De la mort, il dit encore qu’elle n’est pas si facile à rencontrer : « Il fallait, semblait-il, la mériter d’abord... et même alors, mourait-on vraiment jamais ? » (ibid., p. 112). L’idée du suicide est sans cesse ruminée, plusieurs tentatives nous sont racontées. C’est que pour celui qui a pénétré par l’identification intrusive dans le rectum maternel, comme le note D. Meltzer,  » une tentative de suicide, sérieuse mais non réussie, peut libérer le sujet du claustrum » (1992, p. 99).

L’auteur note encore que la vie dans le rectum maternel n’est pas dépourvue de plaisirs et de satisfactions ; il cite les « voyages du toxicomane » et les « triomphes du criminel » – présents dans notre clinique – mais aussi « une étrange sorte d’idéalisation de soi qui prétend, elle aussi, être un héros-de-la-résistance, cette fois face à la tyrannie du système lui-même » (ibid., pp. 99-100). C’est un trait qui s’exprime parfois chez C. Lucas, notamment quand il s’adresse imaginairement au tribunal et à ses juges. Nous le retrouvons aussi chez les détenus de la Maison d’Arrêt.

Nous avons montré notamment combien le monde interne de Jean s’avérait explosif, chaotique, dangereux, à l’image de la réalité externe qu’il nous décrivait. « On est enfermé partout », semblait-t-il me dire. Et pour cause ! Je sentais bien qu’il lui fallait venir s’enfermer à l’intérieur de moi, et s’approprier tout mon espace psychique ; que c’était là son seul recours pour me contrôler et lutter contre la douleur psychique.

Nous envisagerons maintenant un aspect particulier de l’enfermement dans le claustrum, que nous avons déjà étudié à propos de la clinique concentrationnaire, celui de l’enfermement à l’intérieur d’un autre écrivain.

Ainsi retrouvons nous chez C. Lucas, la référence à certains auteurs, notamment à M. Cervantès, à F. Kafka : « C’est une vraie prison complètement irréelle, absurde absolument comme seul Cervantès, né à Alcala de Henares, tiens ! et emprisonné lui aussi quelque temps à Séville, paraît-il, aurait pu en rêver à condition d’avoir lu Kafka » (1995, p. 396). Et c’est sur les vers de Federico Garcia Lorca, qu’il fait mourir son héros Lhorme : « No. No me lo claves. No », reprenant à son compte deux comparaisons du poète : « comme le soc d’une charrue » et « comme le rayon de soleil » (ibid., p. 413). Kierkegaard, Michaux et d’autres encore feront de plus ou moins brèves apparitions sur la scène de Suerte.

Mais c’est surtout à S. Beckett, dont la voix semble lui tenir un peu compagnie, que C. Lucas va s’identifier, se référant plusieurs fois à son Malone meurt. J. Malaurie, qui le cite à la fin de sa postface, ne s’y est d’ailleurs pas trompé, il a ressenti le besoin de contenance qui rapprochait les deux écrivains : « ...c’est à Samuel Beckett – avec L’Innommable – que je voudrais laisser le dernier mot quand je pense à Claude Lucas : « Il me faut une prison, j’avais raison, pour moi tout seul ; je vais y aller, je vais m’y mettre, j’y suis déjà, je vais m’y chercher, j’y suis quelque part, cela ne sera pas moi, cela ne fait rien ; je dirai que c’est moi, ce sera peut-être moi... » (ibid., p. 470).

M. Proust n’est cependant pas omis : « Soudain, je grimaçai de dégoût : dans l’alcôve où mon lit s’encastrait, flottait un remugle atroce. Ca n’était pas la madeleine de Proust, ça non, mais la mémoire me revint quand même » (1995, p.236).

Pour C. Lucas à la recherche d’un conteneur rassurant, il s’agit de venir se loger à l’intérieur d’un autre par le biais de l’identification projective intrusive, de se confondre avec l’objet pénétré pour lutter contre l’anéantissement psychique ; s’agripper à la pensée d’un autre lui permet de ne pas tomber.

Chez Solam, il nous semble qu’œuvre l’identification projective dans ses aspects adhésifs – entre identification adhésive et intrusive ? – : en effet il ne s’agit pas pour lui de se référer à un autre auteur, mais de lui « emprunter » une partie de ses écrits. Ainsi, Hommage à la muraille, que Solam chantera pour le groupe, rend compte de cette nécessité de se coller à l’objet – ou de se loger à l’intérieur de l’objet ? – pour remplir son vide intérieur et pour survivre. Et cela d’autant plus que ce texte est « écrit » par Solam en hommage à la « muraille de Chine, célèbre HLM de la banlieue de St Etienne, qui vient d’être très récemment démolie. Solam est originaire de ce quartier dont il faut savoir que les habitants se sont sentis expulsés bien qu’ils aient été relogés avant la démolition.

D. Meltzer ne dit-il pas que ce qui gouverne le claustrum c’est la logique de survie ? Et que « survivre signifie éviter l’expulsion » ? (1992, p. 121) On peut comprendre que la destruction du bâtiment est venue réactiver la crainte de Solam de se retrouver expulsé du claustrum et donc d’être confronté à des terreurs épouvantables, – explosions, chute sans fin.