3.1.2. Chez C. Lucas, dans Suerte

C. Lucas à travers son double Lhorme, se décrit comme déjà mort ; « mort-vivant » ou encore « fantôme », « revenant ».

« A cette époque n’étais-je pas déjà mort ? Et si oui, depuis quand errais-je ainsi dans cet univers parallèle si semblable à l’autre, celui des humains d’à côté, mais où l’existence se perpétue à l’infini, jalonnée seulement de fausses morts chroniques qui sont comme autant de clins d’œil chaque fois plus sarcastiques adressés au voyageur pour l’égarer d’avantage ? C’est ainsi que C. Lucas introduit son roman autobiographique (1995, p. 1).

Plus loin, il écrit : « En fin de compte, Christian Lhorme était bel et bien mort ; il y avait même témoignage que deux psycholégistes l’avaient réincarné en mafioso... » (ibid., p. 67).

Il parle encore de lui comme d’un fantôme : « Ne demeurait plus qu’un fantôme imbibé de scotch venu profaner de sa présence la splendeur romantique de la cité corsaire ». (p. 29) Un peu plus loin, il se décrit comme un revenant : « Mais son regard éteint était encore capable de reconnaître les revenants » (ibid., p. 30).

Ailleurs, il dit faire semblant d’avoir des rendez-vous, des d’activités, des projets : « Il fallait laisser croire que j’étais vivant. [...] Vivant, mort-vivant à Villeurbanne » (ibid., p. 238-239).

C. Lhorme parle de la mort comme si cette dernière ne voulait pas de lui : « J’avais déjà payé pour apprendre que la Camarde ne se présentait pas comme un chien qu’on siffle. Il fallait, semblait-il, la mériter d’abord... et même alors, mourait-on vraiment jamais ? La crainte que l’existence fût ce cauchemar éternel se perpétuant de fausse mort en fausse mort, et nous plongeant dans un univers chaque fois plus absurde que le précédent, était devenue chez moi une hantise. Ma dernière tentative de suicide y était certainement pour quelque chose. » S’ensuit alors le récit de deux tentatives manquées, l’une à l’âge adulte par arme à feu, l’autre pendant l’adolescence avec une lame de rasoir. (1995, p. 112).

La mort ne semble avoir aucun sens pour le sujet, car même sa réalité est mise en doute ; pour un sujet mort-vivant, il n’y a ni vie ni mort, mais une succession de « fausses-morts ».

C. Lhorme parle lui aussi de « jeu » : « La mort ou la prison, toutes deux ignominieuses dans mon cas, authentifiaient ma démarche ; le jeu n’était pas une pantomime ; je me risquais tout entier, moi, l’homme nu, au beau milieu de bal masqué. En me jugeant demain au nom des masques et des rôles, mes juges ne feraient au fond que me rendre justice et ne seraient que les instruments dociles de mon destin » (ibid., p. 75).

Nous sommes là très proches de ces sujets qu’évoque P. Letarte, qui « jouent avec la mort : leur vie est émaillée de conduites suicidaires qui ne sont pas tentative d’autodestruction, mais au contraire jeu dangereux lié au sentiment d’être immortel, invulnérable. [...] Ces jeux avec la mort se déroulent dans des sursauts mégalomaniaques d’où toute préoccupation concernant l’autre est exclue : l’autre n’existe plus, seule existe l’humiliation, la contrariété, la tension et la compulsion à la décharge immédiate. Il n’est pas tenu compte de la réalité. Dans ces moments de passage à l’acte, le danger de mort ou la mort elle-même n’ont pas de sens [...] Ils sont susceptibles de s’effondrer dans des dépressions insondables, « vides », très différentes des dépressions » pleines, de culpabilité. Ils s’écroulent dans un état de honte dont on les sort à grand-peine. Ils deviennent RIEN, le RIEN ». Et l’auteur d’expliquer alors que ces sujets vont aménager des défenses mégalomaniaques pour devenir « TOUT, le TOUT » (1996, pp. 123-124).

Et ce déni de la mort s’accompagne d’une non reconnaissance de l’irréversibilité du temps.