3.2.2. Les détenus et le temps circulaire

D’emblée, c’est le thème du temps qui sera choisi par les participants de l’atelier d’écriture ; temps vectorisé en apparence puisqu’il « passe » ; beaucoup trop lentement d’ailleurs quand on est privé de liberté. Nous retrouvons chez plusieurs, comme chez C. Lucas la référence à la durée du nycthémère, révélant par là combien l’existence est ici réduite à ses activités les plus élémentaires : « le temps sont les minutes qui s’écoulent, le jour, la nuit ».

Pourtant, quand N. en mal d’inspiration nous donne sa définition bipartite du temps – « le temp c’est le passé et le présent » –, personne ne fera de commentaire ; je comprends combien il est difficile pour la plupart de ces détenus, faute de pouvoir s’approprier leur histoire, de se projeter dans un quelconque avenir. Car c’est bien de cela qu’il est question ici comme le confirmeront les entretiens individuels que j’aurai avec certains d’entre eux.

Birak fera spontanément le lien entre l’écriture et temps de l’enfermement : » il faut du temps à perdre pour écrire ».

Selon Jean, cette écriture change : « au début de la prison puis six mois après, c’est plus pareil ; les visions de chacun ne sont pas les mêmes sur le temps ».

Quand il s’agit de s’évader par l’imaginaire – imaginaire difficile à mobiliser chez la plupart des détenus –, il apparaît assez nettement que leur rapport particulier au temps n’est pas seulement lié aux effets de l’incarcération.

Le premier texte écrit par Jean, déjà cité, nous enfermait dans un temps circulaire ou « le temps de vivre » semblait coïncider avec le temps de mourir.

Lors de la deuxième séance d’atelier, quand les participants choisiront d’écrire sur le thème de l’île, nous retrouverons cette notion d’un temps sans fin, notamment dans le texte de Birak qui met en scène une rencontre idyllique entre deux couples qui vivent à jamais une entente idéale : « et ils s’installèrent dans l’appartement et voilà un Mois de passé déjà et Toujour les couples se Retrouvèrent Tous les soirs. Et continuait Tous Les jours à se voir car ils s’entendait Tous Bien. Ils était comme une vrai famille. Et vivait très heureux ».

Le sujet étant prisonnier d’un temps circulaire, il vit dans son corps des expériences de métamorphose.