3.3.2. Fantasme de toute-puissance et enfermement dans le claustrum

Lorsque l’objet primaire a échoué à assurer sa fonction de contenir les projections normales de son bébé, le sujet aura recours à l’identification projective pathologique ; nous en trouvons une illustration dans notre clinique.

Dans ce contexte, le fantasme de toute-puissance et d’immortalité va avoir une fonction importante pour le sujet ; il lui permet de contrôler ses échanges avec le monde extérieur et d’assurer sa survie psychique, comme la clinique en rend compte.

Le sentiment de grandiosité par exemple, tel qu’il apparaît dans notre clinique – nous pensons surtout à C. Lucas et à Jean – nous pouvons le comprendre avec D. Meltzer, comme typique de l’habitant du claustrum : « il existe une sorte de grandiosité, celle qui prend la forme d’un renversement du sentiment d’être un intrus, et où le sujet a l’impression d’être différent de tous les autres habitants, d’être l’exception... « (1992, p. 100).

Se pose maintenant la question de savoir si l’écriture et la toute-puissance qui s’y exerce – maîtrise et emprise – permettent la sortie du claustrum ou, en d’autres termes, l’accès à un état psychique quadridimensionnel – pour la partie du self qui se trouve concernée.

Tout d’abord, l’identification projective à l’œuvre dans l’écriture de C. Lucas, consistant à faire vivre au lecteur ce qu’il a lui-même vécu, pour tenter de se saisir de son expérience, témoigne de l’abandon relatif de l’identification projective intrusive. Il faut entendre ici ce mécanisme d’identification projective comme faisant partie du travail de deuil rendant possible l’introjection.

Ainsi, la structure éclatée du récit de C. Lucas qui l’apparente selon certains critiques à la « démarche proustienne » rend compte selon nous d’une tentative de créer de la circularité par des aller et retour du travail de la mémoire : « Je n’ai souvenir, tandis que j’écrivais que d’un vrai refus, presque d’une répulsion, de la linéarité narrative. Et en écrivant plus tard mes nouvelles, j’ai ressenti ce même besoin de retour en arrière, organisé de telle façon que l’histoire, en se développant, s’avale, se dissout, élimine ses traces » (Mécif, 1998) Tentative réussie ou non ?

Une fois libéré – en liberté surveillée –, C. Lucas dira pourtant que le roman représente « une réponse au besoin de mise en perspective de notre humaine existence » (ibid.) L’écriture lui aurait finalement permis de prendre suffisamment de distance pour pouvoir embrasser l’essentiel de sa vie, de son histoire ; l’historicité rendant compte de la quatrième dimension de l’espace psychique.

Chez Solam, à propos de son texte Hommage à la muraille, le travail d’écriture achoppe, la dimension imaginaire de l’écrit faisant totalement défaut. En effet, nous l’avons vu, Solam dans un besoin d’identification adhésive, s’est approprié les paroles d’un autre. Ce texte semble mettre en scène dans une folie de toute-puissance, une reconstruction utopique de la muraille pourtant détruite, reconstruction opérant répétitivement après chaque démolition et écrasant du même coup toute gestion du temps. Fantasmatiquement, les murs détruits sont aussitôt rebâtis, dans un temps arrêté ; l’enjeu en est vital pour Solam. Restructuration spatiale nécessaire au sujet qui rend hommage aux murs de son enfance, mais qui tente de gérer du même coup l’effondrement corporel sous-jacent, du fait de la confusion entre espace interne et externe : muraille comme forteresse, seuls remparts auxquels Solam pourrait s’auto-agripper pour lutter contre des terreurs primitives (explosion, chute sans fin).

Notons pourtant que « l’emprunt » n’est pas sans valeur dans la mesure où Solam, en utilisant un objet culturel, la chanson, pour véhiculer quelque chose de son propre vécu intérieur se situe déjà un peu plus dans une dimension intersubjective. En témoigne l’émotion qu’il communique alors au groupe et qui vient faire écho en chacun des participants.

Il nous semble aussi que le chant renvoie à la voix maternelle qui enveloppe et soutient. L’enveloppe sonore externe vient compenser la défaillance interne et réveiller un imaginaire qui vient résonner dans le groupe. Ainsi s’amorce un espace de jeu entre le sujet et le groupe : soutenu par son chant, Solam a pu se laisser affecter et se relier aux autres sans trop d’angoisse, retrouvant figure humaine (A. Blücher, 2003)

Si le travail en groupe autour d’une médiation a pu favoriser une ébauche de la tridimensionnalité, l’accès à la quadridimensionnalité psychique n’est cependant pas encore possible.