4.1.1. Le récit d’une scène primitive  : une scène primitive mortifère

4.1.1.1. La remontée vers l’origine : chercher une issue à son histoire

Dès la deuxième page de son récit, Lhorme confie qu’il cherche une issue à son histoire, faute d’y trouver un sens ; son dernier crime commis – un hold-up chez un joaillier-diamantaire lyonnais – s’apparentant à « une faena audacieuse » lui permettant de sentir « le mufle du fauve [lui] frôler le ventre ». « Je me souvins en effet », ajoute-t-il, « oui, je me souvins de moi arrêtant mon choix sur la Gabriel Feller SA, comme un aveugle clairvoyant ou un idiot inspiré » (1995, p. 2). Métaphore filée puisque c’est le joaillier Feller lui-même qui deviendra in fine un toro resabiado, taureau « vicieux » plutôt que « mou ».

L’insistance mise sur la recherche de sens, sur la convocation du souvenir puis sur les indices concernant le fantasme de castration – cécité, débilité – donne d’emblée au récit de l’écrivain cette coloration typique des schèmes fantasmatiques originaires.

Le décor est planté, avec un premier tableau qui nous donne à voir une scène de tauromachie : l’arène, le taureau, le matador, le travail à la muleta destiné à fatiguer l’animal avant de lui porter l’estocade (1995, p. 2).

Un deuxième tableau se superpose au premier : les locaux de la société du diamantaire G. Feller. « A l’extérieur, fixée au-dessus de la porte d’entrée et contrôlant tout le palier, une caméra de télévision en circuit fermé filtrait l’accès des visiteurs. Tout le problème consistait donc à pénétrer dans les lieux sans donner l’alerte ». [...] A 14 heures tapantes, je sonnai à la porte de la société. Un court instant s’écoula, le temps sans doute de m’examiner sur l’écran de télévision, puis une voix féminine me pria de décliner mon identité à l’Interphone. Vérification faite de mon rendez-vous, le pêne se déclencha, j’entrai et me trouvai momentanément emprisonné dans une sorte de cage pourvue de barreaux, le sas, où pouvaient tenir tout au plus trois personnes. La porte du palier se referma ensuite derrière moi, et celle du sas s’ouvrit après qu’une matrone au chignon sévère – la voix à l’interphone –, retranchée à droite de l’entrée derrière le comptoir, m’eut jeté un ultime coup d’œil professionnel où la circonspection le disputait fortement à l’amabilité commerciale. » (1995, p. 3). La scène du cambriolage – qui tournera mal pour notre héros, on s’en doute – nous est racontée plus loin (ibid., p. 12-16) après un intermède en Espagne.

Si l’on se souvient que le substantif cambrioleur dérive, au sens de « dévaliseur de chambres », du mot d’argot cambriole, lui-même du provençal cambro « chambre », les rapprochements de sens auxquels nous invitent ces deux tableaux, se trouvent tout à coup éclairés d’une lumière particulière. En réalité ces deux tableaux n’en font qu’un.

En filigrane, derrière l’arène, se dessine une autre chambre, celle des parents... c’est la scène de la représentation que l’enfant observe en spectateur, de son propre lieu. Mais de quel lieu, précisément ? Est-il dans l’arène ? Sur les gradins ? Dans la cage aux fauves, prêt à débouler dans le cirque ? Dans tous les cas, il apparaît clairement que l’enfant tente d’entrer dans cette chambre qui lui est interdite pour tenter de saisir quelque chose de son origine. Et n’est-ce pas aussi la chambre dans laquelle l’adulte fait irruption, à chaque effraction, rejouant à chaque fois cette scène pour tenter de la maîtriser ?