1.3. Fantasme de scène primitive  : un sujet mort-vivant

Ce fantasme de scène primitive correspond au déni de l’origine.

Idéalement, la scène primitive comporte deux plans : l’un où l’enfant est engendré par la rencontre sexuée des parents, l’autre où il parvient à transformer le « trouvé » pour le « créé », c’est-à-dire à se créer. Autrement dit, il s’agit de s’approprier subjectivement ce qui de soi a été transmis par les parents. Le sujet est « trouvé/créé » nous dit R. Roussillon, après D.W. Winnicott ; l’auteur insistant encore sur le fait que l’origine doit en même temps être reconnue et suspendue : « les processus et formations transitionnels sont les processus qui déconstruisent la question de l’origine, de telle sorte qu’elle soit rendue indécidable. C’est un mode de traitement de l’originaire, structuré de telle manière que la question de l’origine est rencontrée et suspendue sans méconnaissance » (Roussillon, 2001, p. 40).

Le fantasme de scène primitive s’inscrit donc dans la suite logique des deux fantasmes précédents ; le premier – fantasme de retour in utero – invitant le sujet à être réengendré, le deuxième – fantasme de toute-puissance – à se recréer ; c’est toute l’origine qui se voit ainsi réinterrogée.

Mais il s’avère que ce fantasme de scène originaire tel qu’il s’est découvert dans notre clinique échoue à s’organiser véritablement comme un fantasme, le sujet se trouvant aux prises avec une scène traumatique, mortifère.

Dans notre clinique, le déni de la naissance entrant fantasmatiquement en collusion avec le déni de la mort, vie et mort se confondent, deviennent interchangeables. Comment penser son origine lorsqu’on est mort-vivant ? Ni tout à fait né, ni tout à fait mort ? En effet, le sujet ne peut ni naître, ni mourir ; il n’a ni origine ni fin.

Le fantasme de scène primitive se voit dès lors organisé comme une scène « mortifère » dans laquelle la mère est possédée par la mort, dans un déni de l’origine. L’enfant issu de ce coït surhumain est un mort-vivant qui hante tous les lieux, ne trouvant point de terre ou s’enraciner.

Ce dont témoigne ici la scène primitive, c’est que l’origine ne peut être reconnue ; dès lors elle ne peut être suspendue. Car la mort a déjà eu lieu : la scène primitive existant sur un versant « on tue une mère/un enfant » ; la mère étant morte, le bébé est non né.

L’enfermement ne représente-t-il pas, in fine, une figure de l’intransformable de cette scène primitive ?

Une nouvelle fois, il y a là un enjeu d’écriture. Ne peut-on penser l’écriture comme une autre scène primitive ? Au sens où la scène de l’écriture s’infiltre de la scène primitive – c’est la contrainte de répétition qui joue –, mais aussi au sens où la scène de l’écriture va pouvoir constituer une nouvelle scène primitive – fonction de re-présentation. Scène originaire dans laquelle l’écrivain vient occuper successivement toutes les places à travers tous les personnages qu’il crée, scène qu’il maîtrise parce qu’il en est le scénariste.