2.3. Fantasme de scène primitive et enfermement

L’enfermement représente une figure de l’intransformable de la scène primitive. Le sujet est resté enfermé dans la scène primitive, il étouffe. La scène primitive se trouve fantasmée comme une scène mortuaire, où la mère est prise, dans un coït surhumain, par un Dieu immortel ou par la mort. Le sujet au lieu d’assister à son origine assiste à sa propre mort, vie et mort étant confondues.

Nous avions posé la question de savoir quel était l’enjeu psychique d’un tel fantasme. Il nous semble qu’il s’agit de tenter de maîtriser par une défense paradoxale de retournement ce à quoi le sujet a été confronté : comme il n’a pas pu naître à sa vie psychique, qu’il a été fait mort, il préfère penser que c’est lui qui s’est fait mourir par la toute-puissance de sa pensée (ce qui se trouve d’ailleurs confirmé par l’auto-clivage qui représente bien le sacrifice d’une partie de soi).

Mais c’est aussi la question du père, de sa place et sa stature qui se pose ainsi, car n’est-ce pas la figure du père qui se découvre sous celle de Dieu ou encore de la mère phallique ; père défié ou dénié ?

A ce propos, nous souhaiterions nous arrêter un instant sur le mythe de Don Juan, et sur l’analyse qu’en a faite Monique Schneider dans son Don Juan et le procès de la séduction, qui n’est pas sans présenter de nombreux points de simililitude avec notre travail ; le thème de l’enfermement y occupant notamment une place centrale : « le thème de la prison – prison qu’il s’agirait de fuir ou de rechercher comme gage d’une identité originaire – revient hanter aussi bien la question de la fin que celle du commencement » (1994, p. 224). Pourtant l’enfermement n’y est pas recherché mais au contraire fuit.

Nous retrouvons dans ce mythe « une naissance biface, placée d’emblée au croisement de deux vecteurs, puisque s’annoncent simultanément l’accès à la vie et le risque de mort, comme si naître représentait une entreprise risquée » (ibid., p. 95). Et comme pour nos sujets, « l’enfer se trouve connecté au lieu d’avant la naissance »(ibid. p. 96), lieu originaire qui représente une « prison que constituerait la femme », lieu «risquant de se refermer sur sa proie » (ibid., p. 97), revêtant un « caractère inquiétant et mortifère... »(ibid. p. 98). La dimension d’exil est aussi très présente chez Don Juan qui toujours banni, n’a pas de lieu ou être et doit fuir en permanence. La notion de seuil, de limite, de franchissement et d’effraction se retouve encore, avec cette question pour Don Juan « comment en sortir ? » : «[...] comme si le seuil risquait de devenir ce Styx dont on dit qu’il est non franchissable au retour » (ibid. p. 132). Pour ce séducteur c’est en effet moins la question d’un comment y entrer qui se pose que d’un comment en sortir au sens d’un comment naître ? Car serait précisément posé sur Don Juan un « interdit de naître » (ibid. p. 157).

Et M. Schneider de noter – nous avons déjà cité ce passage – qu’ » au niveau des trajectoires imaginaires, tout se passe comme si Dom Juan avait lui-même connu, dans ce risque d’être mort dès sa jeunesse », cette prison originaire qui représenterait dans le destin masculin, un premier lieu de séjour risqué et, dans le destin féminin l’équivalent d’une définition essentielle, comme si la femme ne faisait qu’un avec le lieu intime qu’elle porte en elle, lieu appréhendé dans le système donjuanesque, comme espace d’ensevelissement et non de métamorphose. » (ibid. p. 98).

Le rapport de filiation à l’égard du père se joue différemment pour nos sujets écrivains et chez Don Juan même si nous trouvons chez tous une « étrange scène primitive » pour le dire comme M. Schneider : « Le couple qui préside à la naissance n’est pas celui de l’homme et de la femme, mais celui du père et du Ciel »(ibid., p. 221). Dans notre clinique, l’accouplement a lieu entre la mère et une déité, le père se trouvant apparemment évincé. P. Wilgowicz avait elle-même noté à propos de sa clinique du vampirisme que « la figure du père s’efface derrière celle de la mère, qui juxtapose les pouvoirs mâle et femelle et réunit la vie et la mort » (2000, p. 105).

Comment comprendre ces différences ?

N’est-ce pas précisément parce que la parole de séduction échoue à réaliser cet écart entre soi et soi, nécessaire à la réflexivité ? M. Schneider insiste d’ailleurs sur la « réflexivité interdite » ; l’action donjuanesque se trouvant frappée d’une impossibilité de ressaisie (ibid., p. 139), Don Juan étant pris dans une fuite en avant permanente.

Il semblerait que l’écriture parce qu’elle permet d’inscrire une trace, de revenir sur les traces du passé, de son histoire, instaure cette distance nécéssaire d’avec soi. N’est-ce pas dans ce pouvoir de transmuer un espace d’ensevelissement en espace de création, et de re-création de soi-même que réside le pouvoir de l’écriture pour certains sujets ?