3.2.2. Ecrire : un processus à répéter indéfiniment

Sur l’écriture sans cesse à recommencer : comme elle a lieu en position maîtrisée, elle n’arrive pas à se réfléchir, il faut donc en répéter indéfiniment le processus.

J. Semprun explique que depuis Le grand Voyage, il y a toujours eu un livre en cours pour prolonger le récit, la tentative d’élaborer l’expérience des camps : « des fragments ont surgit..., c’est ce cours d’écriture qui prend la forme de brouillons, de notes... que je détruis... et puis parfois ça finira par prendre la forme d’une livre... c’est un travail d’écriture permanent ». « C’est toujours le même livre qui est écrit », confesse-t-il dans le documentaire télévisuel L’écriture ou la vie (Perrin et Rotman, 1996).

Dans la préface des Conversations et entretiens, M. Belpoliti rapporte qu’un journaliste ayant interrogé P. Levi sur la question de savoir s’il en avait complètement terminé avec l’expérience du camp, l’écrivain aurait répondu « Ah oui, plus un mot. Plus rien. J’ai dit tout ce que j’avais à dire. C’est complètement fini ». Et M. Belpoliti de commenter : « Rien n’est jamais fini dans les récits de Levi, mais tout revient continuellement, par la force des choses, est-on tenté de dire. Et l’affirmation de l’épuisement des matériaux narratifs elle-même est bien plus qu’un geste d’exorcisme, inspiré par la peur de perdre sa prodigieuse faculté de raconter ; elle est le signe clair de cette incessante récapitulation à laquelle il se livre, de l’impossibilité où il se trouve de s’éloigner, fût-ce un instant, de l’héritage d’Auschwitz (pas une interview où ce mot ne figure, ne serait-ce que dans le chapeau d’introduction) » (1997, pp. 12-13).