Annexes

Annexe 1. Les entretiens cliniques en milieu carcéral

1.1. Entretiens cliniques avec Jean

Jean a soixante ans, il a l’apparence d’un homme simple au charme un peu rude. Sa voix est calme et posée avec un rien d’emphase, quand il parle, il me regarde droit dans les yeux. Il se dégage de toute sa personne un certain magnétisme.

Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement, sa responsabilité de chef d’entreprise ayant été engagée après arrestation d’un de ses transporteurs et de lui-même, au Maroc, pour trafic de stupéfiants.

Aujourd’hui, il est à la retraite, après avoir travaillé dans l’import-export, plus précisément dans le commerce du pétrole et du bois. Ce milieu semble lui avoir donné l’opportunité de voyager dans le monde entier et de côtoyer de nombreuses personnalités politiques, c’est en tout cas ce qu’il laisse entendre. Ce sont d’ailleurs ces thèmes qu’il aborde le plus volontiers, il semble avoir besoin de se rassurer narcissiquement en faisant état de ses nombreuses relations, notamment avec certains membres du gouvernement, et de son excellente connaissance des affaires publiques.

Jean me rapporte avec beaucoup d’enthousiasme des récits entremêlés d’anecdotes et de données historiques, pour me séduire, mais pas seulement ; dans son discours percent de l’amertume et une certaine désillusion. Il ne se plaint pas véritablement de son sort, mais reconnaît avoir « une dent contre la société » car « on recommence jamais sa vie, on continue ».

Jean ne parle pas beaucoup de lui ; je sens pourtant un désir de reprendre son histoire de vie, d’en re-parcourir les principales étapes pour les penser, les mettre en liens avec sa situation actuelle. Dans le même temps, cela lui fait peur car dès qu’il approche un sujet par trop intime, il fuit dans des considérations sur la politique française et étrangère.

Il évoque une « famille nomade » de laquelle il tiendrait son goût de l’observation. Comme je l’invite à en dire un peu plus, il avoue avec une certaine gêne que son père était aiguilleur à la SNCF et sa mère couturière. Et comme pour contrebalancer ses origines modestes, il précise qu’il est « autodidacte », son seul diplôme étant un brevet de dessinateur industriel.

A 18 ans, il s’est engagé dans l’armée de l’air, devançant ainsi l’appel au risque d’être contraint de se battre en Algérie, ce qui lui a en fait été épargné. A ce propos il dit avoir eu beaucoup de chance comme aussi en 1944, lorsque la ville de St Etienne où il vivait, a été bombardée.

A vingt-sept ans, son goût pour le commerce le pousse à créer sa propre société.

J’apprendrai encore qu’il est divorcé, qu’il a eu deux fils ; l’un est forain, l’autre exerce la profession de coiffeur et vient le voir au parloir deux fois par semaine. Il me dira qu’il a une compagne, mais n’en parlera jamais.