1.1.3. Troisième entretien avec Jean.

Jean anticipe d’emblée notre séparation lorsqu’il me serre chaleureusement la main en commentant : « c’est la dernière fois qu’on vous voit aujourd’hui… enfin, vous revenez en septembre ? »

Il m’annonce ensuite qu’il a changé de cellule suite à l’événement qui a eu lieu cette semaine, à savoir les coups de feu qui ont blessé gravement le surveillant du parloir, alors qu’il se rendait sur son lieu de travail. Il me parle longuement de cet accident m’expliquant : « ce truc là a cassé l’ambiance ».

Il évoque, très amer, la visite d’Elisabeth Guigou, vendredi soir, m’expliquant qu’il n’est pas dupe, qu’elle n’a même pas eu à faire un détours pour ce rendre à la Maison d’arrêt, à peine une halte, puisque chaque vendredi soir à Paris, un jet privé est affrété pour chaque ministre, qui rentre ainsi dans sa circonscription d’origine : « elle s’est juste arrêtée avant de repartir à Avignon… le monde de la politique est plus pourri que celui de la prison… les autres sphères sont dirigées par X et ses quarante voleurs… il n’y pas d’égalité chez nous… Je m’occupe beaucoup de l’actualité et je m’amuse à faire des prévisions… je vois mal l’avenir… car on est en période relativement calme… ça annonce la tempête… », et s’adressant soudain à moi : « vous avez de la chance, vous, vous avez un métier relationnel ».

Il poursuit en me rappelant qu’il m’avait parlé d’un rapport sur les prisons qu’il souhaitait me prêter mais qu’il a confié à un détenu qui ne le lui a pas rendu ; il peste un instant contre ce dernier, semblant vraiment très déçu de ne pouvoir me remettre ce document.

Changeant encore de sujet, Jean fait ce constat : « vous récupérez vraiment la crème dans cet atelier d’écriture ! «.Son ton semble presque le déplorer. Et comme je lui demande de préciser sa pensée, il poursuit : « y a des gens qui sont révoltés contre tout, ici… des durs… ce sont des faciles que vous avez eu… il faudrait mieux expliquer ce que c’est cet atelier d’écriture… pour la prochaine fois… ils n’ont pas compris… ils ont cru que c’était pour apprendre à écrire… il faut tout leur expliquer… Le jour où je m’y mettrai à l’écriture… il me faudra de l’encre et du vinaigre ! »

Après un silence, Jean m’avoue : « Vous allez nous manquer pendant ce mois d’août ! », puis comme pour lui même, s’essaye à déterminer quelle pourrait être ma personnalité ; il me propose quelques traits de caractère, mais comme je me contente de sourire sans répondre, il n’insiste pas et se contente d’ajouter : « on pense à vous la semaine… c’est l’avantage … », et de conclure abruptement : « à propos de relationnel… je vous laisse maintenant, je dois aller faire du courrier pour d’autres détenus… parce que l’orthographe ça n’existe pas ici ».

C’est à mon tour, cette fois-ci de me sentir un peu vexée du congé qu’il me donne. Lui, qui d’habitude manifeste tant de plaisir à parler en prenant son temps et qui a du mal à s’arrêter, a préféré devancer ma formule de congé.