1.2.2. Deuxième entretien avec Solam.

Solam m’annonce d’emblée qu’il n’a rien fait de spécial cette semaine, juste écrit un peu de courrier, dont une lettre à son avocat : « c’est tout… les jours sont tous les mêmes ; on rouille… », et de répéter : « les jours sont les mêmes, on a l’impression que c’est toujours la même chose… les gens y avancent… et nous on avance pas… ça fait flipper… ça fait peur… surtout quand on voit ce qu’on voit à la télé… par exemple… y a Internet qu’y monte en puissance… ça fait peur, alors que nous, on est limité au strict minimum… on a pas la chance de voir le progrès avancer, sauf à partir des médias… et la vie elle est courte… je suis en train de tout faire pour sortir… je sais que je peux faire quelque chose de ma vie… ».

Comme je l’incite à développer plus avant, il me répond qu’il n’a pas d’idée précise, puis après quelques secondes de réflexion, se remémore : « Etant gamin, je rêvais d’être avocat… puis pilote de ligne… puis après j’ai été plus réaliste, alors ça été professeur de math… puis je voulais être dans le commerce ». Solam s’arrête, soudain gêné : « j’ai l’impression de perdre de mon vocabulaire… », et comme je lui fait remarquer qu’il m’en a parlé lors du dernier entretien, il poursuit : «  je pense que c’est à cause des conversations qui sont limitées ici… on est obligé de dire ce que les autres veulent que l’on dise… ce que les autres attendent de nous… si c’est de la racaille en face, on parle avec la racaille… Et puis, on parle toujours de la même chose ici,… ça parle de prison, de liberté, de grâces… Quand j’étais en liberté, j’avais des discussions riches… ». Et tristement, il répète : « c’est pas mon monde, ici… c’est pas mon monde… mais on est obligé de s’adapter.

Solam, qui semble s’être risqué un instant à me raconter des souvenirs d’enfance, s’est brusquement interrompu

Lui, qui jusqu’à alors se présentait sur un mode assez agressif, parlant très fort, aboyant presque, me semble aujourd’hui sur un versant plus dépressif. Il réitère d’ailleurs sa plainte concernant sa difficulté à s’exprimer : « je perds les mots et ils reviennent quand j’en ai plus besoin… et en plus j’ai mal aux oreilles aussi ». Il m’explique alors que son codétenu écoute beaucoup de musique : « j’aime pas le bruit, j’aime le calme… et puis ça résonne mal ici… vraiment j’ai l’impression de perdre les mots et l’ouïe… mais j’ai une bonne vue. »

Solam me dit qu’il pense à ses parents, partis passer leurs vacances au Maroc. Comme je sens chez lui une tristesse, une plainte muette, un « personne ne pense à moi » ; je l’invite à poursuivre plus avant, mais en vain, il semble qu’un «  blanc » recouvre ce thème. J’apprends seulement que son père est « ouvrier sur machine dans la manutention ».

Changeant brusquement de sujet, il se remémore un souvenir d’enfance, à propos de son premier livre de lecture, intitulé  « Paul et Valérie », il se souvient avoir eu beaucoup de difficultés à l’école : » je ne parlais pas… je suis resté muet longtemps… je répondais aux questions par des signes… ça a duré deux, trois années… chez moi je parlais, mais ailleurs je ne pouvais pas… alors on m’a amené au bureau d’hygiène public… mais ça a rien changé… ce qui a tout déclenché, c’est une maîtresse qui m’a donné un bonbon en échange d’un merci… moi, je voulais le bonbon, mais je voulais pas parler… elle a attendu assez longtemps, puis j’ai fini par dire merci ».

Après avoir évoqué le passé, Solam me fait part de ses projets futurs : « mon véritable objectif, c’est construire quelque chose dehors, avant de purger ma peine… c’est très important… c’est pour ça que je vais passer en Cour d’appel… parce que j’espère la libération sous caution… il faut que j’arrive à les amadouer… j’ai tout essayé pour les amadouer, même l’écriture… je sais bien ce qu’ils veulent qu’on leur dise ».