1.3.1. Premier entretien avec Cyril.

Je remets à Cyril le livret de l’atelier d’écriture et après avoir rappelé l’objectif des entretiens, je formule ma consigne.

« L’écriture, c’est très important… c’est l’évasion… C’est venu comme ça… j’écris mon C.V…. c’est un C.V. que m’avait demandé d’écrire mon avocat… que je raconte ma vie… je suis ici pour vol à main armée… j’avais un problème de drogue… mais je m’en suis sorti grâce à la prison… Au début, j’ai écrit sous l’effet de la drogue : ça allait profond en moi l’écriture ! Je me droguais avec des produits de substitution… c’est assez troublant… c’est vrai… c’est cru, ça se tient profond… après j’ai arrêté la drogue. J’ai toujours pris des produits de substitution… j’allais pas bien, j’ai jamais pris de vraie drogue… J’ai commencé avec les produits de substitution et j’ai arrêté avec les produits de substitution, ici en prison ».

« Ecrire, y a que ça à faire ici… j’écris… sans vouloir être écrivain… Je suis dans le passé… j’écris au présent dans mon manuscrit… ».

Comme je ne comprends pas très bien ce que Cyril me dit, je le fais préciser ; il m’explique alors qu’il a entrepris deux récits, l’un « au passé » destiné à son avocat pour servir en cour d’assises et dans lequel il retrace tout son parcours de vie, l’autre « au présent » qui s’adresse à son épouse. Ce dernier écrit débute au quatrième mois de son incarcération – il est en maison d’arrêt depuis huit mois –, il s’y confie tout en relatant les faits de la prison : « y a beaucoup de choses à dire sur la prison… les rencontres avec les gens… Le contact humain est difficile ici… les détenus ont une carapace… et avec les surveillants, c’est superficiel… y a pas vraiment de contact ».

Cyril me parle ensuite de sa compagne et de ses deux enfants auxquels il tient beaucoup. Le plus âgé (12 ans) n’est pas de lui, mais il vit avec et s’en occupe, le plus jeune (4 ans) vit avec la mère, dont il est séparé, cet enfant lui manque car il ne l’a pas vu depuis longtemps.

A 25 ans, il a une formation initiale dans la restauration, il a vécu jusqu’à présent de « petits boulots ». Depuis quelques années, il accumule les dettes, se sentant de plus en plus « coincé », il décide avec la complicité de son ex beau-frère de « braquer » un supermarché.

Cyril écrit beaucoup, essentiellement des lettres : « j’écris tous les jours… pour éviter les tensions… et parce que je me sens coupable… il faut que je m’explique avec ma femme… et si j’ai pas de courrier, je deviens fou… ».

Il dit se sentir « en guerre contre la justice », mais aussi « en guerre contre la mère » de son fils (sa première compagne), cette dernière ne souhaitant pas qu’il rencontre son enfant.

Cyril poursuit : « l’écrit, ça m’aide à m’expliquer avec moi-même… avec ma femme... c’est important dans une vie quelqu’un qui t’aime vraiment… il faut se battre pour la garder… je n’ai pas le droit de lui mentir… ».

Il fait ici allusion à son délit en commentant : « ce n’est pas rien de faire ça… Je ne voulais pas attraper un bien personnel… mais m’attaquer à un grand groupe commercial… je voulais faire de mal à personne, léser personne… juste m’en sortir… payer mes dettes… Je marque ma révolte dans mes écrits… l’inaptitude du gouvernement à régler certains problèmes, comme le chômage… j’étais dans la merde complète… avec l’assistance sociale… mais rien de possible… le système vous bloque… interdiction bancaire… procédure de surendettement… ».

Très en colère, Cyril crie alors sa révolte contre la justice : « j’ai tout pour me réinsérer, j’ai quelqu’un qui veut me faire travailler, à l’extérieur j’ai une femme, des enfants…, mais je peux pas, je suis coincé… ici y a pas de cas particulier… ».

Puis après un silence pensif, il rajoute en me regardant d’un air triste : « pour moi y a une limite… si je prends plus de sept ans, je me flingue… je le dis dans mes écrits… de façon déguisée… parce que je trouve ça lâche… ».

Cyril se sent désespéré, il ne supporte plus d’attendre son jugement : « d’être dans le doute… de ne pas savoir ». Et de nouveau, il revient sur son délit : « y avait une raison à ce que j’ai fait, y avait pas de violence… j’ai pas mesuré ce que j’ai fait… Il s’arrête soudain, et d’un ton sévère conclut : «  j’ai enfreint la loi au plus haut degré ».

Cyril m’explique qu’il peut exprimer dans l’écrit ce qu’il ressent : « ça me défoule d’écrire… parfois j’en chiale en écrivant… je mets toutes mes émotions dans le courrier… parce qu’ici, y a pas d’émotion possible ». Après un silence, il avoue : « toutes mes bases ont été ruinées… je me croyais mature, mais c’était faux… j’avais vingt ans ».