1.3.2. Deuxième entretien avec Cyril

Dès son arrivée, Cyril m’annonce, triomphant : « j’ai fait sortir le petit livre ». Comme je lui demande s’il y a été autorisé il me répond : « Non, je l’ai fait sortir en fraude, les interdits, ici, on s’en passe ! ».

Je me sens mal à l’aise d’être ainsi mise dans la confidence, je me sens complice d’avoir participé en partie à ce délit, bien que tout à fait indirectement… Tandis que ma pensée divague ainsi, Cyril poursuit : « j’ai regardé les textes des autres… c’était intéressant… y a beaucoup de sentiments chez les uns… un peu de dureté chez les autres… de la pudeur au début… après on se lâche un peu… les miens, j’ai trouvé que c’est un peu dur. La chanson, par exemple, … il me plaît pas ce texte… ça résume pas tout… c’est caricatural des textes comme ça… ça peut choquer dans mon entourage… ».

Je l’interroge alors sur un de ses textes où il évoque un « coup de feu », une « balle perdue »: « c’est un jeune que j’avais gardé chez moi, assez longtemps, il a eu une leucémie… il est mort… un gamin plein de joie de vivre… ça met un coup ! La souffrance comparée à ce que je vis moi, c’est rien ! ».

La veille, Cyril a pu rencontrer son fils qu’il n’avait pas vu depuis un mois, et qui lui manque beaucoup. La relation avec son ancienne compagne étant très conflictuelle, celle-ci le menaçant sans cesse de le priver de son enfant ; c’est un sujet très douloureux : « Si je perds mon fils… après, j’ai plus de vie ».

Il associe ensuite sur la pensée de la mort en lien avec le jugement à venir, et sur l’amour : « la mort ça fait partie de la vie… les juges pourront faire ce qu’ils voudront… c’est l’amour qui fait tenir ici… si je ressens pas l’amour des autres… c’est la dérive… même dehors. Sans amour, je ne suis rien... c’est une sorte de reconnaissance… je me vois dans les yeux des autres… tout simplement ».

Comme je lui demande s’il est proche de ses parents, il me répond qu’il a été abandonné à sa naissance par sa mère, sans faire d’autre commentaire sur le sujet. A propos de son père, âgé de 65 ans, il dit : » je suis proche, sans être proche … mon père y m’a toujours dit : « Cyril attention, la prison, c’est pas mon truc… j’irai jamais te voir… », et quand je suis arrivé ici, il a fait un infarctus direct… et après, il est venu ».

Cette évocation triste du père, semble le ramener à son fils : « y a quelque chose de moi dehors… », me dit-il songeur. Puis durcissant très vite le ton : « ils veulent s’approprier mon fils (il désigne ici la famille maternelle de son garçon)… quand on était ensemble… j’avais aucun conseil, j’étais tout seul contre une famille bien organisée… ». Il fait allusion à ses craintes passées d’être dénoncé par cette compagne à qui il avait confié son délit, cette dernière le menaçant en permanence de tout dire à la police. Ce « chantage », lui était d’autant plus insupportable » qu’elle aussi elle profitait de l’argent ». Par ailleurs, maintenant qu’il est écroué, il a perdu confiance en elle, car un doute subsistera toujours, il le lui a dit : « Si tu as fait ça pour garder Louis…  ».

« Mon gros soucis, c’est mon fils », confie-t-il encore : « avant, il était spontané, maintenant il regarde sa mère, avant de me parler… je le vois dans ses yeux… Je l’ai éduqué comme une mère, mon fils…. voir ensuite que dans ses yeux on est comme un étranger, c’est dur ! ».

Après ces confidences, il semble soudain se raviser : « ça a pas vraiment de lien avec l’écriture… mais je n’ai pas écrit cette semaine… j’ai beaucoup trop de soucis… l’avocate… et puis le dossier est entre les mains du procureur général pour décider si ça va être aux assises ou en correctionnelle… je dois relire tout mon dossier pour voir si j’ai des choses à y rajouter ».

Cyril souhaiterait être libéré jusqu’à la date de son jugement. Il me dit avoir vu la veille, à la télévision, une émission sur les juges, à propos de laquelle il fait ce commentaire : « c’est une machine qui avance pas… j’ai pas tué… j’ai pris de l’argent… tout le monde s’en fout ! ».

Revenant à l’écriture, il m’explique : « au départ c’était un CV, et puis ça a aboutit au livre… le CV, c’est un résumé de ma vie en 15 pages, et dans l’autre y a 40 pages manuscrites ; tapées, ça fait 80 pages de faites… j’en suis à mon 4ème mois de détention, j’ai pris du retard… dès ma naissance y a eu une couille ». Il passe tout naturellement de son curriculum vitae à sa naissance.

Puis Cyril poursuit : « Ma mère menait une double vie, elle était déjà séparée de mon père, et mon père ne savait pas quand j’allais naître… Ma mère a laissé le nom de mon père à l’assistance publique… j’ai été reconnu vingt jours après par mon père, comme son fils … ».

Comme je lui demande si c’est son père qui s’est occupé de lui, il me dit que c’est la sœur de son père qui l’a élevé avec ses cinq enfants, jusqu’à l’âge de sept ans, qu’il est ensuite allé habiter chez son père.

« Mon père, c’était le soleil… j’étais heureux comme tout » évoque-t-il avec plaisir, en repensant aux visites de son père le mercredi et le samedi. « Il m’a jamais engueulé… de fil en aiguille, je faisais ce que je voulais… tout ce que je demandais, si y pouvait, il le faisait… A 13 ans, je me suis acheté une mobylette, avec l’argent que j’économisais… à 14 ans, j’ai eu la moto… j’en faisais sans permis, sans assurance… mon père, ça le dépassait tout ça… et à 17 ans, ça été la voiture… je me sentais adulte… ça a continué… j’avais pas pris assez de gifles… j’ai été complètement immature jusqu’à 23 ans. A l’école, les autres avaient une famille normale ; chez moi, c’était pas comme ça…

Comme je l’invite à préciser sa pensée, il m’explique que chez sa tante, il a toujours senti la différence entre lui et les autres enfants, que « c’était pas pareil, forcément »

Cyril pense aux années de prison qu’il va devoir purger, c’est l’âge de son fils qui lui sert de repère temporel : « ce que j’ai peur, c’est que ça dure trop longtemps… j’ai peur de me retrouver seul bientôt, parce que c’est trop long… on peut pas attendre trop longtemps… il faut que je m’y prépare parce que ça va me péter au coin de la gueule ! «

Il évoque alors une tante qu’il « a perdu », il était très attaché à elle : « j’ai craqué à l’enterrement … elle m’avait gardé quand j’étais petit. J’ai peur de perdre des choses, des êtres pendant que je suis ici… vous êtes rien ici… vous pleurez seul ici… le mec qui est là à côté de vous, il est dans la même merde que vous, même galère… on est tous pareil ici… y peuvent rien faire… ici, j’essaye de m’expliquer… ».

Cyril me dit aussi qu’il souffre de son état de « DPS » (Détenu Particulièrement Surveillé): « on est plus surveillé que les autres… le délit est commis, mais faut voir les circonstances… personne n’a porté plainte… dans la famille, je suis foutu, j’ai sali le nom de la famille… une famille pauvre mais qui a travaillé… avec toute sa sueur… et moi… marginal… mon père m’a toujours dit « ça passera jamais ! »… avant, je passais tous les jours devant la prison pour aller travailler, je la voyais de chez moi… et je me disais » je n’irai jamais là-bas ». Maintenant, je suis dans la prison et je vois mon appartement au loin ».