1.3.3. Troisième entretien avec Cyril.

Dès son arrivée, Cyril fait allusion à l’attentat dont a été victime le surveillant du parloir : « cette semaine, c’était tendu… je suis assez inquiet de nature, alors c’était difficile ». De plus, son codétenu ayant tenté de se suicider, il se retrouve seul dans sa cellule : « j’en ai profité pour tout nettoyer… et puis j’ai écrit du courrier… et aussi mon roman… j’ai écrit, car y a beaucoup d’événements… il ne fallait pas les oublier… mon bouquin, c’est juste pour quand je sortirai d’ici, pour le montrer aux autres… pour qu’ils comprennent… vous êtes impuissant ici… ça met une tension intérieure… ».

A partir de son vécu interne, Cyril associe sur le climat tendu de la prison : » ça va péter maintenant … si y a une étincelle, ça fait tout péter… pas eu de gamelles, pas de courrier, pas de parloir… la grève… ce sont les CRS, les inspecteurs qui se sont occupés de nous ».

« J’ai pas écrit tellement, car vraiment j’avais une baisse de moral pas croyable, j’ai juste écrit pour dire ce que je pensais ». Il poursuit : « Ici, on arrive à saturer, car les jours se répètent et y a rien de nouveau… au mois d’août, c’est mort… après… ». Comme découragé, il laisse sa phrase en suspend pour reprendre : « Si vous restez dans le cycle pénitentiaire, vous êtes perdu… gamelle, promenade, gamelle, promenade… Moi, je me croyais immature, mais y a pire, j’en reviens pas… y en a certains, y entrent y sortent y rentrent y sortent… Le problème, ici, c’est qu’on a envie de passer ces murs, mais si on passe… c’est la mort… y vous canardent… des fois en pensant à ma peine, j’ai peur, j’angoisse, ça me paraît… A nouveau, Cyril s’interrompt face à l’indicible.

Puis, il reprend : « tout ce qu’on a dehors, on l’a pas vu à sa vraie valeur… la liberté a de la valeur… elle tient à un fil, des fois… ici, y a pas de liberté d’expression, de mouvements, on peut juste voir le ciel si on se couche parterre dehors… Le parloir, vous avez droit à trente minutes : y vous prêtent votre famille… puis on vous la reprend… ils ont pas de cœur ici ! J’ai mal pour ma famille qui doute… le bouquin il est fait pour ça, pour faire connaître la réalité de la vie ».

Cyril me fait part ensuite de la tristesse que lui inspire aussi la société dans laquelle nous vivons : « notre génération est chaotique… on voyait un tee-shirt Nike, on voulait du Nike,… on voyait des chaussures Adidas, il nous fallait des Adidas… l’argent, la drogue, la violence et puis la télévision, y a plus que ça…ça fait trop de violence… ».

Il s’arrête un instant et m’interpelle : « vous connaissez le groupe 113 ? ». Comme j’avoue mon ignorance, il m’explique que le groupe 113 est un groupe musical qui a écrit une chanson sur le thème d’un braquage de banque : « cette chanson aurait dû être interdite ; suite à cette chanson y a eu une énorme vague de braquages », commente-t-il. Comme je lui demande de préciser sa pensée, il se met à chantonner quelques bribes : « On est rentré dans la banque sans faire toc, toc, toc… on est intouchable… ».  » Et ça, ça passe sur les radios françaises !» conclut-il avec aigreur.

Cyril me cite encore un autre groupe : NTM – j’apprendrai plus tard qu’il s’agit de « Nique Ta Mère » –, qui selon lui « prône la violence » : « Je comprends ces pulsions … parce que c’est vrai ce qui a dans ces chansons… la galère… et tout ça… mais y a d’autres façons de réagir que la drogue, l’alcool… ! Il faudrait réglementer les films… Scarface, par exemple… vous l’avez vu ? Moi, ce film m’a foutu en l’air ! C’est un type qui part de rien et il arrive au plus haut, la drogue, la violence… ce film a fait des dégâts ! Vous avez jamais entendu parler de Tony Montana ? Non ? Ici, tout le monde connaît Tony Montana, le héros de Scarface. Quand on arrive ici, tout le monde vous parle de lui, tout le monde sait qui c’est, on se traite tous de Tony Montana, c’est comme un mot de passe. Vous devriez voir Scarface ».

Cyril me parle encore de l’information à la télévision, me demande ce que j’en pense, puis me donne son point de vue sur la question de la démocratie dans notre pays : « La France est une grosse entreprise, il faut la faire tourner », commente-t-il.

Sur ces mots, je mets fin à ce dernier entretien. Je raccompagne Cyril jusqu’aux grilles de l’entrée du secteur, et nous nous séparons sur une poignée de mains.