1.4.1. Premier entretien avec Birak

Je viens de remettre le livret de l’atelier d’écriture à Birak : « Ca fait bizarre, on dirait que c’est un bouquin. Ca fait plaisir », commente-t-il.

D’emblée, il m’annonce qu’il est incarcéré depuis le 13 mai, que c’est pour cela qu’il a participé à l’atelier : « On a besoin d’écrire, ça nous vide !  Au lieu de prendre les nerfs sur n’importe quoi, c’est sur l’écrit ». Comme je lui demande de préciser, il reprend : « les angoisses, les nerfs… ça permet d’oublier… parce qu’au moins je l’ai dit et je le relis moi-même ».

Birak a beaucoup de mal à s’exprimer, il n’habite pas très bien son corps, semble-t-il, tout replié qu’il est sur lui-même ; il trouve difficilement ses mots et construit rarement une phrase entière. Il se dégage de lui quelque chose de très frustre, seule une petite lueur dans son regard permet l’espoir d’une communication avec lui.

Birak poursuit : « Tout ça c’est dans la tête… je me remonte le moral… je le relis à chaque fois que ça va pas… et ça permet d’oublier… ça nous vide.

Comme je lui demande ce qu’il écrit, il me répond : « J’écris le courrier… je lis des bouquins… quand je trouve des phrases intéressantes, je les réécris pour moi ». Il évoque ensuite l’atelier d’écriture auquel il aimait se rendre et conclut : « c’est pareil le courrier et l’atelier pour moi ».

Birak me dit qu’il est âgé de 26 ans, qu’il est incarcéré pour la quatrième fois, toujours « pour des bagarres après l’alcool ». Comme les fois précédentes, il avait bu : « Je buvais pour oublier… et quand quelqu’un me parlait… Bang !

Je relève : « Oublier ? ». « Oui, oublier tous les soucis, les problèmes… J’ai une petite fille de 3 ans et une autre de 4 mois… avec deux femmes différentes… c’est peut être pour ça que j’ai bu… parce que je ne peux pas la voir ». Il m’explique que sa première compagne ne l’autorise pas à voir sa fille, parce qu’il est sans travail, qu’il boit, qu’il va mal. Il a pourtant le projet de créer sa propre entreprise dès sa sortie de détention, il souhaiterait « monter un marché ambulant pour vendre des vêtements ».

Birak me dit qu’il se trouve incarcéré dans la même cellule que son frère de 34 ans. Comme je marque mon étonnement, il commente : « La prison, c’est pour tout le monde… y a des gens qui ont rien fait du tout… et qui sont en prison… dans la famille on a presque tous fait de la prison ». J’apprends ainsi qu’il a cinq frères et quatre sœurs.

Il revient ensuite à l’écriture et à la lecture, il m’explique qu’il ne lisait pas avant de se retrouver en prison : « Je regardais toujours l’épaisseur qui me faisait peur, après j’ai vu que ça m’a intéressé… c’est au mitard que j’ai commencé… y avait que ça à faire ! J’écris mes souvenirs en cellule… des petits trucs… c’est comme si j’étais dehors… pendant un bon moment ça dure… après, le seul fait de lire… je suis plus en prison… On dirait que le temps veut plus passer, on dirait que ça s’arrête, qu’un jour c’est plus 24 heures mais 48 heures… J’écris un courrier parfois, puis je le déchire, je l’ai écrit sur les nerfs, j’attends toujours le lendemain pour l’envoyer : je réfléchis si c’est bon ou non ». Il s’interrompt un instant, puis s’interroge : « Dehors, qu’est-ce qu’on peut écrire ? On fait des C.V., c’est tout ce qu’on peut faire… Quand je suis dehors, j’écris aux gens qui sont en prison ».

Birak me dit que la première fois qu’il s’est retrouvé incarcéré, il a écrit à ses parents pour leur dire de ne pas venir le voir : « je ne veux surtout pas que mes parents viennent me voir, c’est pas leur place ici… moi, j’ai l’habitude d’être en prison ».