1.4.3. Troisième entretien avec Birak.

Birak arrive en m’annonçant qu’il a écrit beaucoup de courrier cette semaine, et qu’il a lu La femme attentive : « c’est l’histoire d’une femme qui avait des problèmes… je suis tellement embrouillé ces jours-ci dans ma tête… à cause de la sortie… je sais pas comment vous dire… je sais pas trop quoi faire à ma sortie… de voir la foule directement, c’est pas bon… ça va me stresser… ça fait bizarre… on a l’impression que tout le monde nous regarde… en fait les gens le savent pas… mais c’est à force de rester enfermé et de pas voir les gens… ici, c’est un autre monde… dehors, c’est agité… ici, on voit toujours les mêmes personnes… déjà dans une grande surface, ça fait peur… de voir qu’on peut acheter tout ce qu’on veut… ici, il faut attendre une semaine, quinze jours… je perds mon habitude du dehors ».

En fait, Birak qui va bientôt être libéré, a obtenu une autorisation de sortie pour la journée du samedi : « Je ne sais pas si j’aurais envie de sortir… tellement j’ai peur… à chaque fois cela me fait pareil ». Puis, comme pour se rassurer, il se projette un instant dans un futur plus lointain : « Je vais essayer de travailler en intérim, c’est le mieux pour l’instant… je mettrai de l’argent de côté pour monter mon affaire… ».

Mais l’angoisse le reprend aussitôt : « Quand je bois, j’ai toujours l’impression qu’on m’agresse… c’est l’alcool qui fait ça… je vais essayer d’arrêter de boire… l’alcool ça ramène que des problèmes… quand je travaille pas… je m’ennuie et je bois pour passer le temps… mais maintenant j’ai compris que c’est l’alcool qui me met dans le pétrin… y a mes deux frères aussi qui sont incarcérés pour des bagarres… dans des bars… ».

Comme je lui demande son avis sur le sens de toutes ces incarcérations, Birak me répond : « c’est notre quartier… où on habite… les parents eux sont habitués… ils savent que la prison c’est pour tout le monde… dans ces quartiers, y faut se battre pour être respecté… tout le monde vous marche dessus… si on se bagarre pas… on va dire : c’est une lopette ce mec ! ».

Birak me dit qu’il n’a pourtant suivi aucun groupe de parole pour son « problème d’alcool », ni vu de psychologue : « Si je veux arrêter… c’est de moi-même, j’ai besoin de conseils de personne ! ». Il se tait un instant avant de conclure : « le meilleur… c’est d’avoir plus personne… la tranquillité, je veux… sinon je vais passer ma vie en prison ».

C’est ainsi que se termine ce dernier entretien. Nous marchons ensemble jusqu’à l’entrée, je lui sers la main, puis nous nous séparons.