Les neurones miroir audio-visuels

Dans une série d’expériences, Kohler et ses collègues (2002) ont quant à eux enregistré l’activité des neurones miroir de F5 lorsque des singes observaient des actions « sonores » (e.g. casser une cacahuète, déchirer un morceau de papier) ou écoutaient simplement les sons associés à ces actions. Les résultats ont montré que la plupart des neurones miroir répondant à l’observation d’actions déchargeaient aussi lors de l’écoute des sons uniquement. La présentation de sons non-liés à des actions (e.g. bruits blancs, cris de singes) n’évoquait en revanche aucune activation de ces neurones (Figure 2.4.a). L’observation des mêmes actions en l’absence de sons correspondants (modalité visuelle uniquement) déclenchait également l’activité de certains neurones. Enfin, les auteurs ont rapporté que ces neurones miroir étaient capables de discriminer deux actions quelle que soit leur modalité de présentation (Figure 2.4.b), confortant l’idée d’une représentation d’un vocabulaire des actions dans F5. Autrement dit, les neurones miroir coderaient le but des actions à un niveau abstrait et activeraient la représentation interne de ces actions que celles-ci soient exécutées ou perçues de manière visuelle et/ou auditive.

Figure 2.4 : Les neurones miroir audio-visuels.
Figure 2.4 : Les neurones miroir audio-visuels.

(a)Le neurone 1 décharge à la fois lors de l’observation de l’action « sonore » de « déchirer du papier » (paper ripping ; V+S) et lors de l’écoute seule du son associé à cette action (S). Ce neurone reste en revanche silencieux lors de l’écoute de sons contrôles tels qu’un bruit blanc (CS1) et un cri de singe (CS2). Le même résultat est présenté pour le neurone 2 qui décharge spécifiquement lors de l’observation et de l’écoute de l’action « laisser tomber une baguette ». Le trait vertical correspond au moment de présentation du son. Pour chaque condition, les rasters ainsi que les densités de pics sont présentés. Pour les conditions S et contrôle, les oscillogrammes des sons présentés sont illustrés. (b) Le neurone 3 est un exemple de neurone miroir permettant de discriminer deux actions quelle que soit leur modalité de présentation (visuelle et auditive, V+S ; visuelle, V : auditive, S ; motrice, M). Ce neurone présente ainsi une décharge maximale pour l’action de « casser une cacahuète », que cette action soit exécutée, vue et/ou entendue. Son activité est par contre diminuée pour l’action, exécutée, vue et/ou entendue de « saisir un anneau ». Pris de Kohler et al. (2002).

La découverte de ces « neurones miroir audio-visuels » permet donc de suggérer que l’activité des neurones miroir de F5 soit corrélée à la compréhension du sens de l’action plutôt qu’aux stimuli caractérisant cette action (Kohler et al., 2002 ; Rizzolatti & Fadiga, 2004). Ainsi, que ces stimuli soient visuels ou auditifs, dès lors qu’ils précisent le sens de l’action observée, les neurones miroir sont activés. Dans cette optique, elle supporte également l’hypothèse, que nous décrirons ultérieurement, du système miroir comme fondement du langage humain (Rizzolatti & Arbib, 1998). Le langage humain est en effet principalement transmis par les sons verbaux, et la découverte de neurones miroir chez le singe répondant aux sons associés à des actions, si elle ne permet pas à elle seule de rendre compte du développement du langage parlé, démontre que les singes possèdent un accès auditif à la représentation des actions. Bien avant que le langage humain ne se développe, les primates semblaient donc pré-adaptés pour associer des sons aux actions, et même comprendre le but de ces actions uniquement à partir de l’écoute de ces sons.

Jusqu’à présent, seule l’existence de neurones miroir impliqués dans la reconnaissance des actions manuelles a été démontrée. Pourtant, la reconnaissance des actions orofaciales étant de première importance dans les interactions sociales, l’observation de neurones miroir répondant à l’observation d’actions de la bouche apporterait une crédibilité supplémentaire à l’hypothèse de liens étroits entre système miroir et langage.