Les neurones miroir « de la bouche »

Comme nous l’avons décrit au début de ce chapitre, une partie des neurones de F5 code les actions exécutées avec la bouche, et il était logique de se demander si les propriétés visuelles des neurones miroir s’étendaient également à l’observation d’actions réalisées par cet effecteur. Récemment, une telle population de neurones miroir a été décrite dans la partie la plus latérale de l’aire F5 (Ferrari et al., 2003). La majorité de ces neurones (85 %), appelés « neurones miroir transitifs de la bouche », décharge lorsque le singe exécute et observe des actions buccales d’ingestion d’objets (e.g. saisir, mordre, lécher). Ainsi, certains neurones répondent à la fois lorsque l’expérimentateur et le singe saisissent un morceau de nourriture avec la bouche, alors que d’autres répondent à l’exécution et à l’observation d’actions de succion. Conformément aux neurones miroir « de la main », le mime des actions ou encore la simple présentation des objets n’activent pas les neurones miroir « de la bouche ». En outre, la congruence entre les patterns de réponse pour l’action observée et l’action exécutée est plus ou moins stricte, à savoir qu’environ 40 % des neurones « transitifs » de la bouche déchargent lorsque les deux actions sont purement identiques, alors que 60 % d’entre eux présentent un degré de congruence plus faible (i.e. ils sont activés lors de l’observation d’actions différentes de celles qu’ils codent sur le versant exécutif).

Les auteurs ont par ailleurs démontré qu’un petit pourcentage de neurones miroir de la bouche (15 %) déchargeait durant l’observation d’actions communicatives non transitives. Ces « neurones miroir communicatifs » ou « intransitifs » sont activés lorsque le singe observe l’expérimentateur réaliser, dans sa direction, des mouvements affiliatifs (e.g. lip-smacking) nécessitant des configurations de la bouche proches de celles adoptées pour la réalisation des mouvements codés par ces neurones (e.g. protusion des lèvres). La congruence entre les actions observées et exécutées semble cependant plus complexe et beaucoup moins stricte que celle caractérisant les neurones « transitifs ». La plupart des neurones enregistrés codaient en effet pour l’exécution d’actions transitives mais répondaient à l’observation d’actions communicatives. Une certaine correspondance a toutefois été notée entre les deux modalités, avec par exemple des neurones activés durant l’observation de mouvements de protrusion de la langue ou des lèvres et de l’exécution de ces mêmes protrusions de la langue ou de mouvements de préhension avec les lèvres respectivement. La difficulté d’évoquer de tels mouvements communicatifs chez le singe lors des enregistrements neuronaux pourrait également rendre compte de la faible proportion de neurones présentant une congruence stricte entre les actions observées et réalisées.

L’existence de neurones miroir « communicatifs », dans une aire corticale (F5) initialement dévolue à l’expression et à la reconnaissance des actions dites « froides » et non émotionnelles, a alors conduit les auteurs à penser que les singes étaient capables, même sommairement, de contrôler volontairement (et non émotionnellement) l’émission de signaux à l’intention d’autrui, processus nécessaire à toute communication volontaire (Ferrari et al., 2003). Il n’a pourtant pas fallu attendre la publication de ces derniers résultats pour que l’idée d’une contribution du système miroir à la communication volontaire émerge dans l’esprit des chercheurs.