II.3.1. Etudes en TMS

La première démonstration de l’existence d’un système miroir chez l’homme a été apportée en 1995 par Fadiga et ses collègues dans une étude en TMS. La TMS, initialement utilisée pour tester l’intégrité du cortex moteur, a rapidement fais ses preuves dans l’étude des fonctions cérébrales. Elle peut en effet être utilisée pour inactiver transitoirement une région corticale, ou encore pour interférer temporairement avec l’activité neuronale de cette région, et permet ainsi d’évaluer le rôle de l’aire ciblée dans une fonction précise (Rafal, 2001 ; Walsh & Cowey, 2000). Mais cette technique peut également servir à tester les modifications d’excitabilité cortico-spinale accompagnant la performance motrice ou induites par l’activité de régions corticales connectées au cortex moteur primaire (M1 ; Fadiga et al., 2005 ; Lemon et al., 1995). Concrètement, les potentiels évoqués moteurs (PEMs), induits par la stimulation magnétique de M1, sont enregistrés sur des muscles cibles dans différentes conditions expérimentales. Une augmentation de l’amplitude des PEMs traduit une facilitation de l’excitabilité cortico-spinale, alors qu’une réduction d’amplitude reflète la diminution de cette excitabilité. Fadiga et al. (1995), mettant à profit cette propriété de la TMS, ont alors formulé l’hypothèse selon laquelle l’existence d’un système miroir chez l’homme devrait se traduire par une modulation d’excitabilité motrice lors de l’observation d’actions. Ils ont stimulé le cortex moteur primaire gauche de sujets sains lors de l’observation de mouvements transitifs (e.g. saisie d’objets) ou intransitifs (e.g. lever le bras), et ont enregistré les PEMs sur les muscles des doigts. L’activité électromyographique (EMG) de ces muscles était également enregistrée chez la moitié des sujets ayant pour consigne d’imiter les mouvements observés. Les auteurs ont démontré une augmentation d’amplitude des PEMs induits par la TMS sur les muscles testés lorsque les sujets observaient les mouvements transitifs mais aussi intransitifs (Figure 2.6.a). De manière intéressante, une congruence stricte a été mise en évidence entre l’observation et l’exécution (imitation) de ces actions, les modifications d’excitabilité motrice étant similaires dans les deux conditions (Figure 2.6.b). L’augmentation de la réponse motrice induite par la TMS lors de l’observation d’actions s’est donc produite précisément dans les muscles recrutés lors de l’exécution de ces mêmes actions. Par ailleurs, la facilitation d’excitabilité obtenue lors de l’observation d’actions intransitives suggère que les propriétés des neurones miroir des primates humains diffèrent de celles des primates non humains (voir aussi Maeda et al., 2002). Les auteurs, après avoir rejeté l’hypothèse d’une influence de la préparation motrice sur ces effets de facilitation motrice lors de l’observation d’actions (i.e. la facilitation était présente même chez les sujets qui ne devaient pas imiter les mouvements), ont donc conclu à l’existence d’un système miroir chez l’homme. Notre système moteur ne serait pas uniquement dévolu à la production des actions mais aussi à leur reconnaissance, qu’elles soient dirigées ou non vers un but.

Figure 2.6  : (a) Amplitude des PEMs enregistrés sur les muscles de la main et du bras lors de l’observation d’actions. (b) Valeurs moyennes de l’activité EMG lors de l’exécution de mouvements de préhension et de mouvements intransitifs par rapport au repos.

D’autres études TMS ont confirmé ces résultats (Brighina et al., 2000 ; Clark et al., 2004 ; Gangitano et al., 2001, 2004 ; Maeda et al., 2002 ; Romani et al., 2005 ; Strafella & Paus, 2000). Particulièrement, Gangitano et collègues (2001) ont rapporté une corrélation temporelle stricte entre la facilitation de l’excitabilité cortico-spinale et la dynamique de l’action observée, alors que la TMS était délivrée à différents intervalles après le début du mouvement observé. Il semble ainsi que le système miroir humain, contrairement à celui du singe, code les aspects temporels des mouvements composant l’action et pas seulement l’action en tant qu’un tout (Rizzolatti & Fadiga, 2004).

La facilitation des PEMs lors de l’observation d’actions a été interprétée comme reflétant une augmentation de l’excitabilité du cortex moteur primaire via des connexions cortico-corticales excitatrices (Fadiga et al., 1995 ; Strafella & Paus, 2000). Chez le singe en effet, l’aire F5 est une aire prémotrice directement connectée au cortex moteur primaire (F1) ; de la même manière, l’aire corticale homologue de l’aire F5 simienne chez l’homme (aire de Broca) pourrait exciter directement le cortex moteur (M1), résultant en une augmentation de l’amplitude des PEMs enregistrés sur les muscles. Une telle interprétation pourrait alors favoriser l’idée de liens fonctionnels étroits entre le langage et la motricité. Alternativement, la facilitation des PEMs pourrait résulter d’une excitation directe, par l’aire « F5 humaine », de la corde spinale logeant les motoneurones innervant les muscles. Une étude de Baldissera et collègues (2001), ayant rapporté une inhibition spinale lors de l’observation d’actions, est venue conforter indirectement la première interprétation. Les auteurs ont ainsi examiné la modulation d’excitabilité spinale lors de l’observation d’actions manuelles en mesurant le « réflexe H monosynaptique» évoqué dans les muscles fléchisseurs et extenseurs de la main droite de sujets sains. Le réflexe H, ou réflexe de Hoffman, est une activité évoquée lors de la stimulation des fibres afférentes des nerfs périphériques, dont l’amplitude dépend de l’excitabilité des motoneurones spinaux. Les résultats de Baldissera et al. (2001) ont montré qu’en l’absence de toute activité musculaire détectable, l’observation des actions modulait l’excitabilité du circuit spinal, les changements d’amplitude du réflexe H étant corrélés spécifiquement aux différentes phases du mouvement observé. Alors que l’amplitude de ce réflexe enregistré sur les muscles fléchisseurs augmentait lors de la phase d’ouverture de la main, elle diminuait fortement durant la phase de fermeture. Le pattern inverse était observé sur les muscles extenseurs. Il est important ici de noter que ce pattern de modulation spinale était inversé par rapport à celui observé lors de l’exécution réelle des actions : les motoneurones spinaux responsables de la flexion sont normalement activés lors de la fermeture de la main, alors que les motoneurones de l’extension sont recrutés lors de l’ouverture (Lemon et al., 1995). Ainsi, les circuits spinaux sont engagés dans l’observation des actions selon un pattern de facilitation opposé à celui obtenu au niveau cortical (Brighina et al., 2000 ; Clark et al., 2004 ; Fadiga et al., 1995 ; Gangitano et al., 2001 ; Maeda et al., 2002). Tandis que la modulation de l’excitabilité corticale « mime » les mouvements observés comme s’ils étaient réellement exécutés par l’observateur, l’excitabilité de la corde spinale est modulée dans le sens contraire. Pour expliquer leurs résultats, surprenants au premier abord, les auteurs ont suggéré l’existence, au niveau spinal, d’un mécanisme bloquant la production d’une réplique de l’action observée. La présence d’une telle inhibition périphérique favoriserait ainsi le traitement cortical des actions observées, laissant le système moteur libre de « faire résonner » l’action observée sans qu’un mouvement soit ouvertement exécuté. Cet appariement « moteur silencieux » des actions observées dans le répertoire moteur de l’observateur serait à la base du processus de reconnaissance des actions effectuées par autrui (Baldissera et al., 2001). Le principe de cette inhibition spinale est illustré dans la Figure 2.7 proposée par Fadiga et Craighero (2003).

Figure 2.7 : Effet de l’observation d’actions aux niveaux cortical et spinal.
Figure 2.7 : Effet de l’observation d’actions aux niveaux cortical et spinal.

(A) Représentation schématique des centres nerveux, et de leurs connexions, censés être impliqués dans la reconnaissance des actions. (B) Lors de l’observation d’actions manuelles, l’aire « F5 humaine » est activée (système miroir ; en gris). (C) Grâce à des connexions cortico-corticales entre F5 et le cortex moteur primaire (ici désigné par F1), l’activation se propage à F1 qui voit son excitabilité augmenter à un « seuil de bas niveau » (en gris rayé). Le terme de « seuil de bas niveau » indique que lorsque nous observons une action, nous ne produisons pas ouvertement cette action. Lorsque la TMS est délivrée sur F1, cette facilitation de l’excitabilité motrice s’exprime en induisant une augmentation de l’amplitude des PEMs enregistrés sur les muscles de la main par rapport à une condition contrôle de non-observation. (D) Quand l’excitabilité spinale est examinée avec le réflexe H, une modulation inverse se produit (inhibition des muscles congruents avec l’action observée). Pris de Fadiga & Craighero (2003).

Si les études TMS ont démontré de façon convaincante la présence d’un système de résonance entre observation et exécution des actions, des preuves probantes ont également été apportées par les études EEG et MEG.