II.3.2. Etudes électrophysiologiques

L’EEG et la MEG sont des techniques électrophysiologiques permettant de mesurer, à la surface du scalp, les variations d’activité électrique et du champ magnétique respectivement au cours de la réalisation d’une tâche expérimentale. Ce sont des techniques non invasives fournissant une information directe sur l’activité synaptique des neurones avec une résolution temporelle excellente (de l’ordre de quelques millisecondes), mais une résolution spatiale limitée (de l’ordre de plusieurs centimètres). Elles sont donc principalement utilisées pour déchiffrer la chronométrie des processus cognitifs, la localisation précise des activations corticales étant en revanche incertaine.

Rétrospectivement, les premières preuves supportant l’existence d’un système miroir chez l’homme peuvent être attribuées à Gastaut et Bert, et Cohen-Seat et collègues, ayant examiné, en 1954, la réactivité des rythmes cérébraux lors de l’observation d’actions. Classiquement, deux rythmes cérébraux, appartenant à la bande de fréquence alpha de 8 à 12 Hz, sont définis au repos : le rythme postérieur alpha (α) et le rythme central mu (μ). Alors que le rythme α est présent lorsque le système visuel n’est pas activé et disparaît lors de toute stimulation visuelle, le rythme μ est présent au repos mais se désynchronise lors de l’exécution d’un acte moteur ou de stimulations sensori-motrices (Arroyo et al., 1993 ; Cochin et al., 1998 ; Pfurtscheller & Berghold, 1989 ; Pfurtscheller & Neuper, 1994). De manière intéressante, Gastaut et Bert (1954) et Cohen-Seat et collègues (1954) ont démontré la désynchronisation de ce rythme μ alors même que des sujets observaient des actions réalisées par autrui. Plus récemment, Cochin et collaborateurs (1999) ont corroboré ces résultats en rapportant une suppression du rythme μ (7.5-10.5 Hz) à la fois lorsque des sujets exécutaient et observaient des mouvements bimanuels de pince des doigts (i.e. rapprochement et écartement successifs du pouce et de l’index). Cette similitude entre les modalités de traitement de l’action était observée sur les aires frontale postérieure, centropariétale et temporale postérieure bilatérales (avec toutefois une prédominance hémisphérique gauche), corrélats neuronaux potentiels du système miroir chez l’homme (Figure 2.8). Des données similaires ont été obtenues par Altschuler et al. (1997, 2000) et Muthukumaraswamy et Johnson (2004). En outre, une suppression du rythme μ, similaire à celle décrite chez l’adulte, a été rapportée lors de l’exécution et de l’observation d’actions transitives et intransitives chez des enfants (Lepage & Théoret, 2006 ; voir aussi Dapretto et al., 2006 pour une étude en IRMf, et Fecteau et al., 2004 pour des enregistrements intracrâniens chez un enfant de 36 mois), supportant l’idée d’une maturation relativement précoce du système de résonance entre observation et exécution des actions chez l’homme. Les études menées chez les enfants et les nourrissons à cet égard étant encore peu nombreuses, la question de savoir si le système miroir est présent dès la naissance reste toutefois irrésolue à ce jour.

Figure 2.8 : (A) Cartographie EEG représentant l’activité dans la bande alpha lors de l’observation et de l’exécution d’actions manuelles. (B) Cartographie statistique EEG dans la bande alpha 1.

(A) Cartographie EEG représentant l’activité dans la bande alpha 1 (rythme μ) lors de l’observation et de l’exécution d’actions manuelles. Les résultats montrent une diminution d’activité, au niveau centro-pariétal notamment, dans ces deux conditions par rapport au repos. (B) Cartographie statistique EEG dans la bande alpha 1. Les électrodes pour lesquelles le signal dans les conditions d’observation/exécution était significativement différent de celui obtenu au repos sont représentées avec une échelle statistique de couleurs (rouge, p < .001 ; jaune, p < .01 ; vert, p < .05 ; bleu, pas de différence significative). Pris de Cochin et al. (1999).

Dans une étude en MEG, Hari et ses collègues (1998) ont étudié l’influence de l’observation d’actions sur l’activité du cortex moteur précentral. Ainsi, l’on sait que le niveau d’activité des oscillations rythmiques à 20 Hz, produites dans le cortex précentral (Conway et al., 1995 ; Hari & Salmelin, 1997  ; Salenius et al., 1997 ; Salmelin & Hari, 1994 ), augmente de façon bilatérale environ 500 ms après la stimulation des nerfs médians (Salenius et al., 1997 ; Salmelin & Hari, 1994). Ce « rebond de post-stimulation », phénomène très reproductible et robuste, est utilisé comme indicateur de l’état d’activation du cortex moteur précentral et est censé refléter une forte inhibition corticale motrice (Chen et al., 1999 ; Salmelin & Hari, 1994). A l’inverse, sa suppression, décrite durant la manipulation d’objets (Salenius et al., 1997 ; Salmelin & Hari, 1994) et lors de tâches d’imagerie motrice (Schnitzler et al., 1997), reflète une augmentation de l’excitabilité motrice. Hari et al. (1998) ont alors tenté de déterminer si l’observation d’actions, tout comme l’exécution, abolissait le rebond de post-stimulation. Les auteurs ont stimulé les nerfs médians gauche et droit de sujets sains alors qu’ils manipulaient un objet avec la main droite ou observaient l’expérimentateur effectuer la même action. Leurs résultats ont révélé que le rebond à 20 Hz dans la région rolandique bilatérale était supprimé lorsque les sujets manipulaient l’objet mais également fortement réduit dans la condition d’observation. Ainsi, le cortex moteur précentral est activé à la fois lors de l’observation et de l’exécution d’actions, démontrant clairement son appartenance au système miroir humain.

Bien que ces études suggèrent un rôle du cortex moteur dans la reconnaissance des actions réalisées par autrui, la dynamique temporelle des activations restait encore relativement inconnue. Dans le but de clarifier ce point, Nishitani et Hari (2000) ont utilisé la MEG pour décrire les patterns spatiotemporels d’activation lors de l’exécution, de l’observation et de l’imitation de mouvements intransitifs de la main droite. Dans ces trois conditions, ils ont démontré une dynamique d’activation corticale identique, à savoir un recrutement précoce de l’aire de Broca (BA 44 gauche), suivi, après 100 à 200 ms, d’une activation des aires motrices précentrales gauche puis droite (BA 4). Les activations étaient en outre plus prononcées dans la condition d’imitation des mouvements, suggérant une sensibilité particulière du système miroir à ce processus (Arbib, 2002, 2004). Il faut noter qu’une activité « miroir » principalement gauche a été obtenue, suggérant que l’hémisphère gauche, dominant du langage, soit également dominant du système miroir. Toutefois, des biais méthodologiques tels que la présentation des actions dans le champ visuel droit des sujets auraient pu conduire à cette latéralisation des effets. L’observation d’actions de la main droite aurait également pu résulter en une résonance stricte dans le système moteur de l’observateur (i.e. simulation des actions avec le même effecteur), et donc en une activation motrice gauche. Par ailleurs, l’activation de l’aire de Broca avant le cortex moteur a conduit les auteurs à suggérer que cette aire joue le rôle d’ « orchestrateur du système miroir » chez l’homme. Cette proposition a été corroborée par Heiser et al. (2003), dans une étude en TMS répétitive, ayant démontré des performances d’imitation de mouvements manuels réduites suite à la stimulation répétée, supposée créer une sorte de « lésion virtuelle », de la pars opercularis gauche ou droite (i.e. pas de prédominance hémisphérique gauche du système miroir).

Nishitani et Hari (2002) ont ensuite rapporté l’existence d’un pattern d’activation similaire à celui observé en 2000, à l’exception toutefois qu’il était bilatéral, lors de l’observation et de l’imitation de formes (i.e. images statiques) verbales et non verbales des lèvres, condition non testée jusque là. Ainsi, un réseau neuronal bilatéral, dont l’activité débutait dans les aires occipitales et le STS puis s’étendait aux aires pariétales inférieures, à la pars opercularis et enfin au cortex moteur primaire, était recruté dans ces deux conditions. La séquence d’activation était en outre précoce et rapide, à savoir qu’elle commençait 110 ms après la présentation visuelle des mouvements et durait en moyenne 220 à 250 ms. Conformément aux résultats obtenus pour les mouvements manuels (Nishitani & Hari, 2000), les activations étaient plus importantes lors de l’imitation des mouvements en regard de la simple observation. Ces résultats révèlent donc l’existence d’un système miroir semblable répondant à l’observation et l’imitation d’actions de la main et de la bouche. Ils s’accordent également avec la théorie motrice de la perception du langage (Liberman et al., 1967 ; Liberman & Mattingly, 1985 ; Liberman & Whalen, 2000), l’aire de Broca contenant des représentations motrices orofaciales activées à la fois lors de l’exécution de mouvements articulatoires et de la perception de ces mouvements.

L’ensemble des données obtenues en TMS et en EEG/MEG supporte l’existence d’un système miroir chez l’homme, partageant des propriétés avec le système miroir des singes. Ainsi, des patterns d’activités électrique et musculaire identiques sont obtenus lors de l’exécution et de l’observation d’actions de la main et de la bouche. Toutefois, le système miroir humain possède également ses propres caractéristiques puisqu’il a été démontré qu’il répondait à l’observation d’actions intransitives et à l’imitation d’actions, mais aussi qu’il codait les aspects temporels des mouvements et pas seulement l’action comme un tout indivisible. Alors, jusqu’où vont les similitudes et les différences entre les systèmes des neurones miroir des primates humains et non humains ?