IV. Le traitement des mots d’action

L’identification des substrats neuronaux impliqués dans le traitement des mots d’action fait l’objet d’un intérêt croissant en neurosciences cognitives depuis quelques années, cette catégorie de mots se présentant comme le moyen idéal de faire émerger les liens fonctionnels unissant langage et motricité. Pendant longtemps, l’étude du langage a été dominée par une vision manichéenne selon laquelle deux aires corticales précises, considérées comme les « centres du langage », seraient dévolues à la production et à la perception linguistiques (Lichtheim, 1885 ; Geschwind, 1970). D’une part, l’aire de Broca, située dans la troisième circonvolution frontale gauche (gyrus frontal postérieur inférieur gauche, BA44/45) et initialement décrite chez un patient présentant des troubles de l’articulation et de l’expression du langage (« tan » ; Broca, 1861), était reconnue pour participer aux processus de production verbale. Cette aire était classiquement définie comme l’ « aire des images motrices » de la parole, sa lésion entraînant une aphasie de Broca ou aphasie motrice. D’autre part, l’aire de Wernicke, localisée dans le cortex temporal supérieur postérieur gauche (BA22/42 ; Wernicke, 1874), était considérée comme l’ « aire des images auditives » de la parole, impliquée dans la compréhension du langage. Sa lésion provoque une aphasie de Wernicke ou aphasie sensorielle. Si l’existence d’une « zone du langage » responsable de la plupart des fonctions langagières, et située autour de la scissure de Sylvius de l’hémisphère gauche, est aujourd’hui encore admise au sein de la communauté scientifique, les techniques d’imagerie cérébrale ont permis de faire évoluer le regard traditionnel porté sur l’organisation du langage dans le cerveau, en démontrant des activations corticales distribuées s’étendant au-delà des aires « classiques » du langage (Bookheimer, 2002 pour une revue). En particulier, une perspective récente considère que le traitement du sens des mots fasse appel, outre aux aires périsylviennes « classiques » du langage, au système sensori-moteur. Deux modèles ont été avancés en faveur de cette hypothèse. D’une part, le modèle du système miroir, proposé par le groupe de Parme (Buccino et al., 2005 ; Rizzolatti et al., 2001 ; Rizzolatti & Arbib, 1998 ; Tettamanti et al., 2005), suppose que la compréhension des mots d’action repose sur la résonance ou simulation, dans le système moteur, des actions désignées par ces mots, selon un mécanisme identique à celui impliqué dans la reconnaissance visuelle des actions. D’autre part, le modèle proposé par le groupe de Cambridge (Hauk et al., 2004ab ; Pulvermüller, 1996a, 1999a, 2001a, 2005a) postule que les représentations sémantiques des mots s’établiraient selon le principe de l’apprentissage « hebbien » (Hebb, 1949). Dans cette optique, le traitement des mots d’action reposerait à la fois sur les aires corticales stockant la forme verbale des mots et sur les aires motrices représentant les actions auxquelles ces mots se réfèrent. Ces modèles, s’ils prédisent tous deux un recrutement des aires motrices lors du traitement des mots d’action, se placent néanmoins à des niveaux d’évolution phylogénétique et ontogénétique différents. Alors que le modèle du système miroir est basé sur l’existence d’un processus mis en place chez les primates non humains, qui aurait ensuite évolué chez l’homme, le modèle de l’apprentissage « hebbien » rend compte de la formation de réseaux neuronaux au cours du développement de l’individu. Dans un premier temps, nous présenterons ces deux modèles, et plus particulièrement celui de Pulvermüller, ainsi que leurs prédictions quant au cas particulier du traitement des mots d’action. Nous exposerons ensuite les études d’imagerie cérébrale et d’électrophysiologie ayant testé la validité de ces prédictions.