IV.1. Modèle du système miroir et traitement des mots d’action

Comme nous l’avons déjà amplement décrit, le modèle du système miroir stipule que la reconnaissance des actions réalisées par autrui repose sur un mécanisme de résonance dans le système moteur de l’observateur (Gallese et al., 1996 ; Rizzolatti et al., 1996a, 2001 ; Rizzolatti & Arbib, 1998). Ainsi, lors de l’observation d’une action, la représentation motrice de cette action serait implicitement activée dans le répertoire moteur de l’observateur, et serait ensuite appariée à l’action observée. Cet appariement permettrait alors à l’observateur de reconnaître l’action de l’acteur, mais également de prédire son comportement et d’interagir avec lui (Gallese & Goldman, 1998). Un tel système de parité entre auteur et destinataire d’un message étant à la base de toute communication volontaire (Liberman et al., 1967 ; Liberman & Mattingly, 1985 ; Liberman & Whalen, 2000), Rizzolatti et Arbib (1998) ont suggéré que le système miroir, initialement dévolu à la motricité manuelle, constitue le précurseur du langage humain (voir Gentilucci & Corballis, 2006 pour une revue).

Si le système miroir permet de reconnaître les actions via la motricité, la question qui s’est rapidement posée était de déterminer s’il en était de même lorsque les actions sont exprimées via le langage. Les mots ou les phrases désignant des actions activent-ils également le système miroir ? Une réponse positive semble pouvoir être apportée dans le cadre de l’hypothèse selon laquelle la compréhension du sens des mots serait « incarnée » (« embodied » ; Feldman & Narayanan, 2004 ; Gallese & Lakoff, 2005 ; Glenberg & Robertson, 2000). Gallese et Lakoff (2005) proposent notamment que les concepts, et particulièrement les concepts d’action, soient totalement « imbriqués » dans notre système sensori-moteur (mais voir Mahon & Caramazza, 2005 pour une discussion de ce postulat). En d’autres termes, la compréhension des actions, qu’elles soient exprimées à travers la motricité ou le langage, reposerait sur des mécanismes de simulation inhérents à ce système sensori-moteur. La compréhension de phrases ou de mots désignant des actions devrait alors recruter les aires corticales motrices impliquées dans l’exécution et l’observation de ces actions. Autrement dit, la perception de mots d’action, et non seulement la perception des actions elles-mêmes, suffirait à activer le système miroir. En outre, ce système miroir étant activé de manière somatotopique lors de l’observation d’actions réalisées avec différentes parties du corps, une organisation similaire devrait également être mise en évidence lors de tâches verbales portant sur des mots se référant à des actions exécutées par différents effecteurs.

Comme nous allons à présent le décrire, ces prédictions du modèle du système miroir quant au traitement du langage lié à l’action sont partagées par le modèle avancé par Pulvermüller (1996a, 1999a 2001a, 2005a), pourtant basé sur des principes différents.