IV.3.1 Etudes comportementales

Seules deux études comportementales ont été menées pour tester les interactions potentielles entre traitement des mots d’action et contrôle moteur (Glenberg & Kaschak, 2002 ; Setola & Reilly, 2005). Glenberg et Kaschak (2002) ont rapporté un « effet de compatibilité d’action » lors d’une tâche motrice de jugement sémantique de phrases désignant des actions réalisées dans différentes directions. Les séquences verbales se référaient à des actions nécessitant un transfert « vers soi » ou « vers l’autre ». En outre, elles étaient soit impératives (e.g. Ouvre le tiroir vs. Ferme le tiroir) soit elles décrivaient un transfert concret (e .g. Lise t’a donné le livre vs. Tu as donné de livre à Lise) ou abstrait (e.g. Lise t’a raconté une histoire vs. Tu as raconté une histoire à Lise). Les participants devaient décider si ces phrases avaient un sens en donnant une réponse compatible ou non avec les deux directions évoquées (i.e. appuyer sur un bouton proche (vers soi) ou éloigné (vers l’autre) du corps). Les auteurs ont décrit un effet d’interférence (i.e. temps de réponse plus longs) lorsque la direction des actions évoquées par les phrases, quelles qu’elles soient, et la réponse motrice étaient incongruentes vs. congruentes. Ces résultats, en démontrant que la compréhension de phrases désignant des actions peut interférer avec (ou faciliter) une réponse motrice, viennent donc corroborer les modèles selon lesquels la compréhension du langage lié à l’action reposerait sur les mêmes mécanismes neuronaux que ceux impliqués dans la planification et l’exécution des actions (Kaschak & Glenberg, 2000 ; Gallese & Lakoff, 2005). Autrement dit, l’accès au sens d’une « phrase d’action » serait établi lorsque la manière dont est exécutée l’action qu’elle décrit serait elle-même comprise.

Setola et Reilly (2005) ont quant à eux récemment examiné l’influence de l’exécution d’actions sur la reconnaissance de verbes désignant des actions de la main (e.g. tirer, pousser) ou des actions d’ordre plus général (e.g. voir, éveiller). Dans leur étude, les participants devaient exécuter des actions avec la main gauche (e.g. pousser) et réaliser simultanément une tâche de décision lexicale, incluant les verbes d’action et des pseudo-verbes, en donnant leur réponse avec la main droite. Les actions exécutées pouvaient être facilement dénommées en un seul mot (i.e. compatibles avec les verbes d’action testés), ou plus difficilement verbalisables (i.e. utilisation de plusieurs mots pour les décrire, incompatibles avec les verbes). En accord avec le modèle de Pulvermüller (2001a), les auteurs ont émis les prédictions suivantes : 1) l’exécution de mouvements de la main devrait influencer sélectivement le traitement des verbes d’action de la main en regard des autres verbes et des pseudo-verbes, 2) le type d’actions exécutées (facilement ou difficilement nommables) devrait également affecter le comportement moteur : les actions compatibles devraient réduire les temps de réponse et/ou les taux d’erreurs pour les verbes d’action en regard des actions incompatibles. Leurs résultats n’ont que partiellement confirmé ces prédictions. Ainsi, les temps de réponse pour les trois catégories de stimuli étaient comparables lors de l’exécution des actions et étaient affectés de la même manière par le type d’actions (i.e. temps de réponse plus courts pour les actions compatibles). Seuls les résultats obtenus sur les taux d’erreurs des sujets, plus élevés dans la condition compatible uniquement pour les pseudo-verbes, ont pu être interprétés par les auteurs dans le cadre de l’apprentissage « hebbien ». Selon eux, l’identification des pseudo-verbes, mais aussi l’action parallèlement exécutée, auraient pu activer partiellement les représentations neuronales des verbes d’action, conduisant finalement à l’activation des assemblées de cellules tout entières. Les sujets auraient alors été « trompés », les pseudo-verbes étant jugés plus facilement comme étant des verbes de la langue (taux d’erreurs plus importants). Une expérience supplémentaire, dans laquelle le même pattern de résultats a été obtenu lors de l’observation d’actions et du traitement simultané de verbes d’action et de pseudo-mots, a par ailleurs conduit les auteurs à supporter l’existence du système miroir. En résumé, les résultats de cette étude ne démontrent donc que partiellement l’existence de liens spécifiques entre le traitement des mots d’action et l’action elle-même, des patterns d’interaction n’ayant été mis en évidence que lors de l’identification des pseudo-verbes.

Les études comportementales portant sur les liens entre motricité et traitement des mots d’action sont encore peu nombreuses, les résultats ne fournissant en outre que peu d’éléments convaincants quant à une implication réelle des régions motrices dans la reconnaissance de ces mots. A cet égard, les études d’électrophysiologie et d’imagerie cérébrale ont apporté des preuves beaucoup plus probantes de l’existence de substrats neuronaux communs aux mots d’action et à l’action elle-même.