IV.3.3. Etudes d’imagerie cérébrale

Trois études, menées en IRMf, ont cherché à localiser les régions corticales motrices supposées participer à la reconnaissance des mots d’action (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Hauk et al., 2004b ; Tettamanti et al., 2005). Hauk et ses collègues (2004b) ont par exemple comparé les variations d’activité hémodynamique lors de l’exécution de mouvements des doigts, de la langue et du pied, et lors de la lecture passive de mots désignant des actions réalisées par ces mêmes effecteurs. Sur le versant de l’exécution motrice, leurs résultats ont révélé des activations des aires motrices et somatosensorielles suivant l’organisation somatotopique du cortex moteur (Figure 4.5.a). La perception des mots d’action a quant à elle recruté, outre le gyrus fusiforme gauche probablement impliqué dans les processus d’accès sémantique communs à tous les mots (Devlin et al., 2002 ; Tyler & Moss, 2001), les cortex frontal inférieur, moteur primaire (gyrus précentral) et prémoteur (gyrus frontal médian postérieur). Conformément aux données précédentes (Hauk & Pulvermüller, 2004a ; Pulvermüller et al., 2005b ; Shtyrov et al., 2004), les aires motrices étaient donc recrutées alors même qu’aucune réponse motrice explicite n’était requise de la part des sujets, indiquant qu’elles participent au traitement proprement dit des mots d’action. Par ailleurs, une activation somatotopique de ces régions corticales, fortement similaire à celle obtenue lors de l’exécution réelle des actions, a été mise en évidence en fonction des effecteurs utilisés pour réaliser les actions désignées par les mots (Figure 4.5.b). Les mots d’action de la bouche ont activé les aires prémotrices inférieures bilatérales, tandis que les mots d’action de la main ont suscité une activation des aires prémotrices dorsolatérales. Enfin, les mots se référant à des actions de la jambe ont recruté spécifiquement les aires dorsales (gyri pré- et postcentral gauches et cortex prémoteur dorsal). Ces résultats démontrent donc clairement que les aires impliquées dans la programmation et la réalisation de mouvements de différentes parties du corps sont également recrutées lors de la lecture de mots sémantiquement liés aux actions des mêmes effecteurs. Des neurones miroir contribuant à la fois au traitement du langage et à l’action pourraient être à la base du recouvrement d’activation observé entre les actions et les mots (voir Aziz-Zadeh et al., 2006b pour des activations communes entre traitement de mots d’action et observation de ces actions). Hauk et al. (2004b) ont interprété leurs résultats dans le cadre du modèle de l’apprentissage « hebbien » : le pattern d’activation corticale produit lors du traitement d’un mot d’action reflèterait la représentation corticale de l’action à laquelle il se réfère. Certains aspects du sens des mots, comme sa référence, seraient donc sous-tendus par des liens cortico-corticaux spécifiques.

Figure 4.5 : (a) Patterns d’activation hémodynamique lors de l’exécution de mouvements de la langue (en vert), des doigts (en rouge) et du pied (en bleu). (b) Patterns d’activation hémodynamique lors de la lecture passive de mots désignant des actions de la bouche (en vert), de la main/bras (en rouge) et de la jambe (en bleu).

Pris de Hauk et al. (2004b).

Tettamanti et al. (2005) ont par la suite confirmé ces données sur le versant de la perception auditive de phrases composées de verbes désignant des actions effectuées par différentes parties du corps (bouche, main et jambe). Une première analyse a mis en évidence une activation spécifique de l’aire de Broca (pars opercularis) lors de l’écoute passive des trois types de phrases, conduisant les auteurs à lui conférer un rôle crucial dans le codage des actions à un niveau abstrait, et plus particulièrement dans l’accès aux représentations sémantiques abstraites de ces actions. La comparaison des stimuli en fonction de l’effecteur utilisé pour réaliser les actions décrites a ensuite révélé une somatotopie des réponses corticales (Figure 4.6 ; en accord avec Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Hauk et al., 2004b ; Buccino et al., 2001 pour l’observation d’actions). Ainsi, les phrases désignant des actions de la bouche ont activé une région plus étendue de la pars opercularis que celle recrutée conjointement pour les trois types de stimuli, mais aussi la pars triangularis du gyrus frontal inférieur gauche. Les phrases se référant à des actions de la main ont quant à elles produit une activation sélective de la représentation motrice de la main dans le gyrus précentral gauche, alors que les phrases liées à des mouvements de la jambe ont recruté le cortex prémoteur dorsal gauche, de manière plus dorsale et rostrale que pour les phrases désignant des actions de la main. Ces données mettent donc en évidence l’implication d’un réseau prémoteur et moteur gauche lors de la perception auditive passive de phrases liées à des actions corporelles, également impliqué dans l’exécution/observation de ces actions (Buccino et al., 2001 ; Gallese et al., 2002). La latéralisation gauche des activations est également congruente avec la latéralisation du système miroir de reconnaissance des sons associés aux actions (Aziz-Zadeh et al., 2002 ; Gazzola et al., 2006 ; Pizzamiglio et al., 2005). Le système miroir contribuerait ainsi à la compréhension du sens des actions exprimées à travers la motricité mais aussi le langage, supportant l’idée qu’au cours de l’évolution, le langage ait intimement établi des liens avec le système sensorimoteur.

Figure 4.6 : Patterns d’activation corticale motrice lors de l’écoute passive de phrases désignant des actions effectuées par différentes parties du corps (bouche, bras et jambe).

Patterns d’activation corticale motrice lors de l’écoute passive de phrases désignant des actions effectuées par différentes parties du corps (bouche, bras et jambe). Les activations communes aux trois types de stimuli, indépendamment de l’effecteur utilisé pour réaliser les actions désignées par les phrases, sont présentées en blanc (aire de Broca). Les effets spécifiques aux différentes phrases sont indiqués en bleu (bouche), rouge (main) et vert (jambe). Ces activations somatotopiques dans le cortex prémoteur gauche sont illustrées dans le cadre à droite de la figure. Les plans axiaux (z) y sont indiqués par les lignes en pointillés, mises en correspondance avec les coordonnées stéréotaxiques et les coupes axiales, coronales et sagittales du cerveau. Des histogrammes montrent également le pourcentage de changement de signal hémodynamique dans les différentes conditions (M, bouche ; H, main et L, jambe) par rapport à la condition contrôle (A, écoute de phrases abstraites). (*) indique un effet significatif de la condition considérée. Pris de Tettamanti et al. (2005).

Ces études d’imagerie cérébrale révèlent l’existence de substrats neuronaux spécifiques, dans les cortex moteur et prémoteur, sous-tendant le traitement des mots d’action. Elles confirment donc la prédiction des deux modèles avancés (Buccino et al., 2005 ; Gallese & Lakoff, 2005 ; Pulvermüller, 1996a, 1999a, 2001a, 2005a ; Rizzolatti & Arbib, 1998), à savoir que les aires corticales impliquées dans l’exécution et l’observation d’actions sont également recrutées lors de la perception, visuelle ou auditive, de mots se référant à ces mêmes actions. En outre, et conformément aux études d’électrophysiologie (Hauk & Pulvermüller, 2004a ; Pulvermüller et al., 2001b ; Shtyrov et al., 2004), elles démontrent une correspondance étroite entre le langage lié à l’action et l’action elle-même, les activations observées suivant l’organisation somatotopique des cortex moteur et prémoteur.

Cette thématique des liens unissant système moteur et mots d’action suscitant encore et toujours un intérêt croissant, les chercheurs ont par la suite fait appel à la TMS afin d’examiner les modulations d’excitabilité de ce système lors du traitement des mots (Buccino et al., 2005 ; Oliveri et al., 2004). Cette technique, en plus de révéler l’influence des mots d’action sur l’état du système moteur, a de surcroît permis de déterminer la nature, facilitatrice ou inhibitrice, de cette influence. Pulvermüller et ses collègues (2005c) ont également testé l’une de leurs prédictions jamais mise à l’épreuve jusque là : les changements d’activité du système moteur peuvent-ils affecter le traitement des mots d’action ?