IV.3.4. Etudes en TMS

Oliveri et collaborateurs (2004) ont testé les modulations d’excitabilité motrice lors de la production de noms et de verbes associés ou non à des actions réalisées par différents effecteurs (ex : clé vs. nuage, et mordre vs. adorer). Dans une tâche morphologique, les participants devaient produire oralement les formes singulière ou plurielle des noms présentés, et conjuguer les verbes, présentés à l’infinitif, à la troisième personne du singulier ou du pluriel. La stimulation magnétique était délivrée sur le cortex moteur primaire gauche 500 ms après le début de la présentation visuelle des stimuli, et les PEMs étaient enregistrés sur les muscles de la main droite. Les résultats n’ont mis en évidence aucun effet de la classe grammaticale des mots (noms vs. verbes), indépendamment de leur sens, sur les modulations d’excitabilité corticale motrice. Ils ont par contre révélé une influence de la sémantique des stimuli, indépendamment de leur classe grammaticale, à savoir que les mots associés à des actions activaient de façon plus prononcée le cortex moteur primaire (i.e. augmentation d’amplitude des PEMs) en regard des mots sans association motrice. Ainsi, l’excitabilité de l’aire motrice gauche de la main est modulée lors de la production de mots d’action, quel que soit l’effecteur utilisé pour réaliser ces actions, et quand bien même aucun accès explicite à l’information sémantique ne serait requis (en accord avec Meister et al., 2003 dans une tâche de lecture à voix haute). Les auteurs ont conclu que le recrutement de l’aire motrice de la main puisse refléter le fait que la représentation corticale d’un mot d’action inclue les schémas moteurs associés à ce mot, de sorte que les régions motrices soient automatiquement activées lors du traitement de ce mot (Pulvermüller, 1996a, 1999a, 2001a). Il faut cependant noter que les mots d’action employés ici ne désignaient pas seulement des actions de la main mais aussi de la bouche ou des jambes, suggérant une activation non spécifique de l’aire de la main lors de la production de ces mots. Alternativement, ils ont soulevé l’hypothèse que cette modulation puisse résulter de l’imagerie motrice des actions auxquelles les mots se réfèrent. Dans ce sens, l’activation motrice gauche pourrait ne pas être nécessaire à la production des mots d’action (Mahon & Caramazza, 2005) et ne constituer qu’un phénomène post-linguistique. Les données EEG démontrant un recrutement des régions motrices de manière précoce (dans les 250 ms) lors de l’identification des mots d’action tendent à réfuter cette deuxième alternative (Hauk & Pulvermüller, 2004a ; Pulvermüller et al., 2001b ; Shtyrov et al., 2004).

Si Oliveri et al. (2004) n’ont pas dissocié les effets produits par les mots décrivant des actions réalisées par différents effecteurs, Buccino et al. (2005) ont pour leur part mesuré les changements d’excitabilité motrice lors de la perception auditive de phrases se référant à des actions de la main ou du pied et de phrases au contenu « abstrait» (condition contrôle). Dans un paradigme similaire à celui de Tettamanti et al. (2005), ils ont demandé à des sujets sains d’écouter passivement des phrases associées à des actions alors que leur cortex moteur primaire gauche était stimulé au niveau de l’aire motrice de la main ou de la jambe. La TMS était délivrée à la fin de la présentation de la seconde syllabe des verbes composant les phrases, et les PEMs étaient enregistrés sur les muscles de la main droite et de la jambe. Les auteurs ont observé une diminution sélective d’amplitude des PEMs de la main droite lors de l’écoute des phrases se référant à des actions de la main. A l’inverse, lorsque les phrases décrivaient des actions du pied ou lors de l’écoute des phrases abstraites, aucun effet n’était observé (Figure 4.7.a). Les analyses portant sur les PEMs de la jambe ont révélé le pattern de modulation inverse, à savoir une diminution d’amplitude lorsque les sujets écoutaient des phrases associées à des actions du pied en regard des phrases d’actions de la main et des phrases abstraites. Une étude comportementale supplémentaire, dans laquelle les participants devaient donner une réponse motrice avec la main ou le pied (appuyer sur un bouton ou une pédale respectivement) lorsqu’ils entendaient des phrases associées à des actions par rapport à des phrases abstraites (le signal de réponse était également délivré à la fin de la présentation de la seconde syllabe des verbes), a conforté ces résultats. Les temps de réaction étaient en effet plus longs pour les phrases désignant des actions de la main lorsque la réponse était donnée avec la main ; le même pattern de résultats était obtenu pour les phrases se référant à des actions du pied lorsque la réponse était donnée avec ce même effecteur (Figure 4.7.b).

Figure 4.7 : (a) Etude en TMS. (b) Etude comportementale.
Figure 4.7 : (a) Etude en TMS. (b) Etude comportementale.

(a) Etude en TMS. Modulations des PEMs enregistrés sur les muscles de la main (opponens pollicis) et de la jambe (tibialis anterior) lors de l’écoute de phrases décrivant des actions de la main et du pied respectivement, par rapport à des phrases au contenu abstrait. (b) Etude comportementale. Temps de réaction moyens (en millisecondes) lorsque la réponse était donnée avec la main ou le pied durant l’écoute de phrases décrivant des actions de la main et du pied. Pris de Buccino et al. (2005).

Cette étude de Buccino et collègues (2005) révèle donc une diminution d’excitabilité du cortex moteur primaire lors de la perception de phrases décrivant des actions. En outre, cette inhibition est spécifique de l’effecteur utilisé pour réaliser les actions auxquelles les phrases se réfèrent, les mots désignant des actions de la main et du pied affectant les représentations motrices de la main et de la jambe respectivement. Ces résultats sont en accord avec les études d’imagerie cérébrale (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Hauk et al., 2004b ; Tettamanti et al., 2005), et confortent l’idée que le système miroir soit impliqué dans la reconnaissance des actions présentées visuellement (i.e. observation) mais aussi acoustiquement (i.e. phrases). Toutefois, une divergence majeure vient distinguer cette étude de celle d’Oliveri et al. (2004) ou encore des travaux menés en TMS lors de l’observation d’actions (Fadiga et al., 1995 ; Maeda et al., 2002) et de la perception et production verbales (Fadiga et al., 2002 ; Meister et al., 2003 ; Watkins et al., 2003). Ainsi, alors que Buccino et al. (2005) ont mis en évidence une diminution d’amplitude des PEMs enregistrés sur les muscles utilisés pour réaliser les actions décrites dans les phrases, les autres études ont démontré une facilitation d’excitabilité motrice (i.e. augmentation d’amplitude des PEMs). Les modalités de stimulation magnétique pourraient notamment rendre compte de certaines de ces différences : alors que Buccino et al. (2005) ont délivré la TMS pendant la présentation des verbes d’action composant les phrases, Fadiga et al. (1995, 2002) l’ont appliquée juste avant la fin de la présentation des séquences d’actions ou 100 ms après la présentation des doubles consonnes testées respectivement. Cette explication ne peut toutefois s’appliquer aux autres études (Meister et al., 2003 ; Oliveri et al., 2004 ; Watkins et al., 2003) ayant démontré des effets de facilitation lorsque la TMS était appliquée pendant la présentation des stimuli. Les modalités testées (production vs. perception) ou encore le fait que les phrases dans deux ces études n’étaient pas spécifiquement associées à des actions pourraient alors constituer des facteurs influents.

Au vu de leurs résultats comportementaux, Buccino et al. (2005) ont proposé que l’écoute de phrases liées à des actions ait activé, via un mécanisme de simulation, les représentations motrices de ces actions ; ces représentations auraient alors interféré avec le programme moteur activé pour répondre avec l’effecteur souhaité. Un tel effet d’interférence permettrait également de rendre compte des résultats obtenus en TMS : alors que la progression d’une action peut être suivie « pas à pas » lorsqu’elle est observée, elle ne peut être comprise que globalement lorsqu’elle est décrite à travers le langage. Autrement dit, contrairement à l’observation d’une action où le sujet fait face à un agent et à un contexte spécifiques, l’action décrite verbalement est totalement décontextualisée et perd son aspect temporel. Ainsi, lorsqu’une action est présentée visuellement, et non verbalement, la manière dont elle est exécutée est explicite, permettant à l’observateur d’activer un schéma moteur spécifique, directement apparié à cette action. Les auteurs ont en outre suggéré que, la TMS étant délivrée avant la fin de la présentation des verbes d’action des phrases, soit avant que les participants n’entendent le prédicat des actions, aucun schéma moteur spécifique à ces actions ne pouvait être activé/simulé. Au contraire, une variété de représentations motrices compatibles avec les prédicats éventuels de l’action aurait été recrutée à un niveau infraliminal. L’inhibition réciproque entre les différents schémas moteurs étant un principe de base de l’organisation du système moteur, cette « simulation à grande échelle » de l’action entendue aurait pu interférer avec les programmes moteurs spécifiques et les activations musculaires induits par la TMS.

Jusqu’à présent, les études menées en TMS ont rapporté une modulation spécifique d’excitabilité des représentations corticales motrices liées aux actions décrites par des stimuli verbaux (mots ou phrases). En outre, corroborant les résultats des précédentes études, cette modulation suit l’organisation somatotopique du cortex moteur. Si la signification et l’importance fonctionnelles du recrutement de ces aires motrices dans la compréhension du langage lié à l’action restent encore à préciser, un premier pas dans ce sens a été fait par Pulvermüller et al. (2005c), ayant évalué l’influence de l’activité motrice induite par la TMS sur le traitement de mots d’action. Les auteurs ont en effet cherché à savoir si les aires motrices, dont on sait maintenant qu’elles sont recrutées lors de la perception de mots ou de phrases se référant à des actions, étaient aussi cruciales dans le traitement de ces mots que les aires « classiques » du langage, ou si leur activation ne résultait simplement que de processus post-linguistiques. Autrement dit, l’échange d’informations entre les systèmes du langage et de l’action est-il réciproque, de telle sorte que le système moteur contribue activement au traitement des mots d’action ? Afin de répondre à cette question, Pulvermüller et ses collègues (2005c) ont stimulé les aires motrices gauches de la main et de la jambe de participants sains lors de l’identification de mots associés à des actions de ces mêmes effecteurs (i.e. décision lexicale en produisant un léger mouvement des lèvres en réponse aux mots). La TMS était délivrée, à un niveau infraliminal, 150 ms après le début de présentation des stimuli. Dans deux conditions contrôles, elle était appliquée sur le cortex moteur droit ou simplement simulée (i.e. stimulation « sham »). Les latences de réponse des participants étaient mesurées à partir de l’enregistrement de l’activité EMG de leurs lèvres. De manière intéressante, leurs résultats ont démontré un effet du site moteur stimulé sur le traitement des mots liés aux actions de la main et de la jambe. Aussi les latences de réponse étaient-elles plus courtes pour les mots désignant des actions manuelles, en regard de la jambe, lorsque la TMS était appliquée sur l’aire motrice gauche de la main. L’effet inverse était observé pour les mots se référant à des actions de la jambe, les latences de réponse étant cette fois plus courtes lors de la stimulation de l’aire motrice gauche correspondante (Figure 4.8). Aucun effet n’a été mis en évidence lorsque le cortex moteur droit était stimulé, ni lors de la stimulation « sham ». Pour la première fois, une influence du système moteur sur le traitement des mots d’action a donc été révélée chez des sujets sains : ainsi, non seulement les mots d’action recrutent sélectivement les aires motrices et prémotrices (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Hauk & Pulvermüller, 2004a ; Hauk et al., 2004b ; Pulvermüller et al., 2001b ; Shtyrov et al., 2004 ; Tettamanti et al., 2005), mais l’activité du cortex frontocentral contribue spécifiquement au traitement de ces mots. En réponse à la question ayant motivé cette étude, l’activation des régions motrices et prémotrices lors de la perception de mots d’action ne serait donc pas une simple conséquence du traitement de ces mots, mais ces aires joueraient un rôle fonctionnel spécifique dans la reconnaissance des mots d’action. Plus particulièrement, le traitement de mots désignant des actions réalisées par différentes parties du corps serait facilité lors de la stimulation du site moteur correspondant. Les auteurs insistent à ce propos sur la méthodologie utilisée : la stimulation à un seuil infraliminal et l’asynchronie entre cette stimulation et le début de présentation des mots (150 ms ; en accord avec Hauk & Pulvermüller 2004a ; Pulvermüller, 2001a ; Sereno & Rayner, 2003 ; Shtyrov et al., 2004) seraient des conditions favorables à l’émergence de ces effets de facilitation. Ces différences méthodologiques entre la présente étude et celle de Buccino et al. (2005) pourraient également rendre compte des effets inverses observés, à savoir la facilitation et l’interférence respectivement.

Figure 4.8 : Latences de réponse moyennes lors de la tâche de décision lexicale portant sur les mots désignant des actions de la main (en turquoise) et de la jambe (en violet), lorsque la TMS était appliquée sur les aires motrices gauches de la main et de la jambe. Les résultats obtenus dans les conditions contrôle de stimulation hémisphérique droite et de stimulation « sham » sont également représentés.

Pris de Pulvermüller (2005a).