IV.4. Conclusion

Un nombre croissant de travaux est mené depuis quelques années dans le but d’approfondir l’étude des liens fonctionnels unissant le langage et l’action. L’ensemble des résultats disponibles à l’heure actuelle a permis de révéler une activation spécifique des régions corticales motrices et prémotrices, principalement dans l’hémisphère gauche dominant du langage, lors de la perception de mots d’action. La principale prédiction des deux modèles avancés, l’un fondé sur l’existence du système miroir et l’autre basé sur l’apprentissage « hebbien », a donc été confirmée. Par ailleurs, ce recrutement des aires motrices suit l’organisation somatotopique des cortex moteur et prémoteur, corroborant l’hypothèse selon laquelle le langage lié à l’action et l’action elle-même seraient intimement liés. Enfin, les études électrophysiologiques ont démontré, conformément aux prédictions de Pulvermüller (2001a, 2005a), que les aires motrices étaient activées précocement et de manière automatique lors de l’identification des mots d’action, suggérant là encore qu’elles contribuent fortement au traitement de ces mots. Une première preuve probante en a été apportée par Pulvermüller et al. (2005c) ayant décrit une influence facilitatrice spécifique de l’activité du cortex moteur primaire sur la reconnaissance de mots d’action. Les études futures permettront de préciser le rôle fonctionnel du système moteur dans le traitement du langage.

Toutes ces données, si elles s’accordent avec les prédictions des deux modèles, ne permettent cependant pas de les distinguer, si tant est qu’ils le soient. Il est en effet intéressant de noter que, s’ils semblent s’opposer à première vue de par les principes sur lesquels ils se basent, ces modèles ne s’excluent finalement pas complètement. Ainsi, des assemblées neuronales, formées selon le principe de l’apprentissage associatif et distribuées sur les aires « classiques » du langage, stockant les formes verbales, et les aires motrices, stockant les représentations motrices des mots, pourraient sous-tendre le traitement des mots d’action. Mais, comme le suggèrent Hauk et al. (2004ab) et Pulvermüller et al. (2005c), il est tout à fait envisageable que ces assemblées contiennent des neurones miroir impliqués dans l’exécution et la reconnaissance des actions. L’on peut alors supposer que, au cours de l’enfance, les représentations neuronales des mots d’action s’établiraient, outre dans les aires périsylviennes du langage, dans les cortex moteur et prémoteur « miroir » lorsque les enfants exécuteraient et observeraient les actions, et lorsqu’ils entendraient simultanément leurs parents prononcer les mots désignant ces actions.

Si les deux modèles présentés permettent de rendre compte des liens étroits entre action et langage, seul le modèle de Pulvermüller (1996a, 1999a, 2001a, 2005a) est capable d’expliquer les distinctions de traitement, observées chez les patients cérébro-lésés et les sujets sains, entre une catégorie particulière de mots d’action, les verbes, et une autre catégorie de mots, les noms. Abandonnant pour un temps l’interaction entre langage et motricité, la suite de cette introduction sera focalisée sur cette thématique de la dissociation entre noms et verbes. Nous nous attacherons à décrire les études neuropsychologiques et celles menées chez les sujets sains suggérant des patterns d’activation corticale distincts pour les deux types de mots, ainsi que les modèles proposés pour rendre compte de ces résultats.