V.3.3. Etudes en TMS

Contrairement aux études d’EEG et d’imagerie cérébrale, peu d’études concernant les substrats neuronaux des noms et des verbes ont été réalisées en rTMS 13 , probablement en raison de la mise au point récente de cette technique. En outre, si les auteurs ont examiné le rôle du cortex préfrontal dans le traitement de ces deux catégories de mots, les hypothèses testées étaient différentes, à savoir l’hypothèse grammaticale pour Shapiro et collègues (2001) et l’hypothèse sémantique pour Cappa et collaborateurs (2002).

Shapiro et al. (2001) ont utilisé une tâche morphologique fortement similaire à celle précédemment décrite (Shapiro et al., 2005), dans laquelle des sujets sains devaient produire oralement les formes singulière ou plurielle de noms et conjuguer des verbes à la 3ème personne du pluriel ou du singulier. La même tâche était également réalisée avec des pseudo-mots. Les latences de réponses étaient enregistrées alors que la rTMS était simultanément appliquée sur la portion inférieure du gyrus frontal médian gauche, immédiatement antérieure et supérieure à l’aire de Broca. La stimulation était appliquée à un niveau supraliminal (i.e. 110 % du seuil moteur), créant de ce fait une sorte de « lésion virtuelle » de l’aire stimulée. Les données étaient comparées à une condition contrôle dans laquelle la stimulation magnétique était simulée (« sham »). Les auteurs ont formulé l’hypothèse selon laquelle une implication spécifique du cortex préfrontal dans le traitement grammatical des verbes devrait se traduire par un allongement des temps de réponse pour ces mots lors de la stimulation magnétique répétée de cette région. A l’inverse, aucun effet d’interférence ne devrait être observé dans le cas des noms.Leurs résultats ont confirmé ces prédictions : les latences de réponse lors de la production des verbes étaient plus longues en regard des noms lorsque la stimulation était délivrée sur le cortex préfrontal (Figure 5.16.a). Cet effet n’était pas observé lors de la stimulation « sham ». Par ailleurs, un pattern de résultats identique a été obtenu lorsque les stimuli produits étaient des pseudo-mots, les temps de réponse étant plus longs pour les pseudo-verbes (Figure 5.16.b). Ces dernières données confortent donc l’idée que le cortex préfrontal soit nécessaire aux opérations grammaticales relatives aux verbes, et non à leurs représentations sémantiques, sans quoi l’effet observé aurait dû être aboli pour les pseudo-verbes. Ainsi, le cortex préfrontal gauche participerait de façon cruciale aux processus de récupération des verbes, mais ne serait au contraire pas indispensable à ceux des noms.

Figure 5.16 : (a) Effet de la rTMS, délivrée sur le cortex préfrontal gauche, sur les latences de réponse lors de la production de formes fléchies de noms et de verbes, par rapport à une condition contrôle de leurre (« sham »). (b) Résultats obtenus lorsque les stimuli produits sont des pseudo-mots utilisés comme noms ou verbes. Il faut noter que la stimulation « sham » se traduit par une réduction des latences de réponses, néanmoins comparable pour les noms (ou pseudo-noms) et les verbes (ou pseudo-verbes).

Pris de Shapiro et al. (2001).

Cappa et al. (2002) ont quant à eux évalué le rôle du cortex préfrontal dans le traitement sémantique des actions. Plus précisément, ils ont appliqué des stimulations magnétiques répétées, à un niveau infraliminal (i.e. 10 % en dessous du seuil moteur), sur le cortex préfrontal dorsolatéral gauche ou droit, alors que des sujets sains nommaient des images d’actions (verbes) et d’objets (noms). Une condition contrôle de stimulation « sham » était également réalisée. Leurs résultats ont révélé un effet de facilitation de la dénomination d’actions, en regard d’objets, lors de la stimulation du cortex préfrontal gauche. Ainsi, une réduction des latences de réponses était observée lors de la production orale des verbes désignant les actions par rapport aux noms se référant aux objets. Cet effet n’était pas observé pour une stimulation hémisphérique droite ni lors de la condition contrôle. Les auteurs ont alors proposé que le cortex préfrontal dorsolatéral gauche joue un rôle fondamental dans la représentation des concepts d’actions, communément désignés par des verbes. Ils suggèrent notamment une contribution du système miroir, qui serait latéralisé à gauche, dans ces liens « sémantiques » unissant cortex préfrontal et dénomination d’actions. Cette interprétation s’accorde ainsi avec les travaux ayant démontré l’existence d’un système miroir auditif gauche de reconnaissance de sons associés à des actions (Aziz-Zadeh et al., 2004 ; Gazzola et al., 2006 ; Pizzamiglio et al., 2002, 2005). Ils ne permettent toutefois pas de rendre compte de l’absence de latéralisation du système miroir « visuel » recruté lors de l’observation d’actions (Aziz-Zadeh et al., 2002, 2006a ; Fadiga et al., 1995).

Ces deux études menées en TMS suggèrent que le cortex préfrontal gauche contribue spécifiquement au traitement des verbes, que ce soit en tant que classe grammaticale ou catégorie sémantique. Ainsi, la stimulation répétée de cette région, supprimant ou modulant son excitabilité, affecte les performances de récupération des formes morphologiques associées aux verbes et des actions désignées par des verbes. Il est notamment intéressant de constater que les auteurs ont délivré la rTMS dans des régions corticales quasi-identiques (rostrales de 5 à 6 cm par rapport au point moteur suscitant une activité électromyographique du premier muscle dorsal interosseux). Ces données corroborent donc les précédents résultats rapportés chez les sujets sains et les patients cérébro-lésés, à savoir que le traitement des verbes repose fortement sur le cortex frontal, au sein duquel les informations grammaticales et sémantiques de ces mots seraient représentées.

Notes
13.

Pour rappel, la rTMS permet non seulement de démontrer qu’une aire corticale est activée dans une tâche, mais qu’elle est également cruciale à la réalisation de cette tâche. Elle consiste à délivrer un « train » de stimulations à un niveau supraliminal (i.e. au-dessus du seuil moteur), ce qui supprime l’excitabilité de la région corticale ciblée (Chen et al., 1997 ; Pascual-Leone et al., 1999). En d’autres termes, une « lésion virtuelle » de cette région est créée, pouvant ou non interférer avec les processus cognitifs mis en jeu dans la tâche. Mais la rTMS peut également être délivrée à un niveau infraliminal (i.e. en dessous du seuil moteur), modulant, sans supprimer, l’excitabilité de la région ciblée. Les effets potentiels de facilitation ou d’interférence avec la tâche cognitive en cours peuvent alors être mesurés.