VIII.1.1. Les mots d’action et les aires corticales motrices

Les systèmes du langage et de l’action ont longtemps été considérés comme fonctionnellement distincts, mais une perspective récente considère que le traitement du sens des mots fasse appel, outre aux aires « classiques » du langage (Broca et Wernicke), à des réseaux neuronaux distribués dans le système sensori-moteur. Comme nous l’avons décrit dans l’introduction de cette thèse (Chapitre IV), deux modèles principaux ont été proposés en regard de cette hypothèse : le modèle de l’apprentissage « hebbien » (Pulvermüller, 1996a, 1999a, 2001a, 2005a) et le modèle du système miroir (Gallese & Lakoff, 2005 ; Rizzolatti et al., 1996a, 2001 ; Rizzolatti & Arbib, 1998 ; Tettamanti et al., 2005). Bien que basés sur des principes différents, ces deux modèles suggèrent l’existence de représentations neuronales communes au traitement des actions décrites dans le langage et à l’exécution motrice. Cette hypothèse a été récemment corroborée par les données d’imagerie cérébrale et d’électrophysiologie (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Buccino et al., 2005 ; Hauk & Pulvermüller, 2004a ; Hauk et al., 2004b ; Oliveri et al., 2004 ; Pulvermüller et al., 2005bc ; Tettamanti et al., 2005). Ainsi, le traitement de mots ou de phrases liés à des actions active les cortex moteur et prémoteur somatotopiquement, d’une façon semblable à l’exécution des actions décrites par ces stimuli langagiers (Aziz-Zadeh et al., 2006b ; Hauk et al., 2004b ; Tettamanti et al., 2005). Les études menées en TMS ont étoffé ces données en démontrant une modulation de l’excitabilité du cortex moteur gauche lors du traitement de mots d’action (Buccino et al., 2005 ; Oliveri et al., 2004 ; Pulvermüller et al., 2005c).

Malgré un nombre croissant d’études suggérant un engagement des aires corticales motrices dans le traitement des mots d’action, les données actuelles ne permettent cependant pas d’affirmer que ces régions motrices participent réellement aux processus de récupération de ces mots. L’activité motrice décrite dans les études d’imagerie pourrait tout aussi bien résulter d’effets consécutifs, et non intrinsèques, au traitement linguistique. La reconnaissance des mots d’action pourrait notamment susciter une activité liée à l’imagerie motrice – connue pour recruter les aires motrices et se produisant après l’identification du mot (Alkadhi et al., 2005 ; Decéty et al., 1990 ; Jeannerod, 1994 ; Jeannerod & Frak, 1999) – des actions auxquelles ils se réfèrent. Jusqu’à présent, seule l’étude de Pulvermüller et collègues (2005b) en MEG a donné des éléments de réponse à l’encontre de cette hypothèse. Leurs résultats ont en effet dévoilé une activité dans les aires périsylviennes du langage qui s’étendait aux aires dorsales sensorimotrices dans les 200 ms suivant la présentation des stimuli verbaux. Les premiers effets lexico-sémantiques se produisant dans les 100 à 200 ms après la présentation des stimuli (i.e. effet de fréquence lexicale ou effet de catégorie des mots ; Pulvermüller et al., 1999bc, 2001bc ; Preissl et al., 1995 ; Sauseng et al., 2004 ; Sereno et al., 1998 ; Sereno & Rayner, 2003), ces données corroborent l’idée selon laquelle les régions motrices sont recrutées pendant le traitement des mots d’action. Néanmoins, aucune mesure comportementale précise n’ayant été réalisée dans cette étude, la signification fonctionnelle de l’activité motrice dans le traitement des mots d’action reste encore à élucider.

Les doutes qui persistent quant aux origines de cette activité motrice supposent donc de recourir à des paradigmes expérimentaux plus fins afin de décider si le cortex moteur contribue effectivement aux processus de récupération des mots d’action. La présente étude a permis de fournir de premiers éléments de réponse à cette question, en évaluant l’influence de la perception de verbes d’action et de noms concrets sur l’un des comportements moteurs les plus élémentaires de la vie courante, le mouvement de préhension.