VIII.5. Discussion

VIII.5.1. Interaction entre langage et motricité

Dans la présente étude, des participants sains devaient réaliser une tâche de décision lexicale visuelle dans laquelle un mouvement de préhension était effectué en réponse à des mots de la langue française (verbes d’action et noms concrets) en regard de pseudo-mots. Grâce à des analyses fines de la cinématique du mouvement, nos résultats ont établi que la perception de verbes d’action, par rapport aux noms concrets, influençait de manière notoire le comportement moteur. Le traitement des verbes d’action peut ainsi faciliter ou interférer avec la performance motrice en fonction de la séquence temporelle des tâches linguistique et motrice réalisées.Alors qu’un engagement concomitant des deux processus conduit à des effets d’interférence spécifiques entre l’encodage des verbes d’action et l’exécution du mouvement de préhension (Expérience 1), un effet d’amorçage du traitement de ces mêmes mots sur l’exécution motrice est obtenu lorsque les tâches sont réalisées successivement (Expérience 2). Nous attirons ici l’attention sur le fait que ce pattern inversé d’interaction (d’interférence à amorçage) suivant la séquence temporelle des tâches rappelle fortement les résultats discordants obtenus dans les études en TMS (Buccino et al., 2005 ; Oliveri et al., 2004 ; Pulvermüller et al., 2005c). Ainsi, Buccino et ses collègues (2005), ayant démontré une diminution d’amplitude des PEMs et un allongement des temps de réponse lors de l’écoute passive de phrases liées à des actions, ont délivré la TMS pendant la présentation des verbes d’action (i.e. engagement simultané des deux processus, conformément à notre Expérience 1). A l’inverse, Oliveri et al. (2004) et Pulvermüller et al. (2005c) ont rapporté une augmentation de l’amplitude des PEMs et une diminution des temps de réponse lors du traitement de mots d’action, alors que la TMS était appliquée 500 ms et 150 ms après la présentation des mots respectivement (i.e. engagement successif des processus, en accord avec notre Expérience 2). En résumé, des effets d’interférence émergent lors de la réalisation synchrone de tâches motrice et linguistique, alors que l’exécution de ces tâches de manière consécutive conduit à des effets de facilitation. L’ensemble de nos données fournit donc des éléments supplémentaires robustes quant à l’existence de représentations neuronales partagées entre les processus linguistiques et moteurs. Selon cette hypothèse, notre effet d’interférence pourrait résulter d’une compétition entre les processus pour accéder à des ressources corticales communes, alors que l’effet de facilitation découlerait d’un amorçage des régions corticales motrices lors du traitement des mots d’action, facilitant ainsi la performance motrice ultérieure.