IX. Interférence potentielle entre traitement des verbes d’action et préparation motrice : une étude couplant électrophysiologie et cinématique

IX.1. Introduction

Les résultats de notre deuxième étude (Boulenger et al., 2006b) nous ont permis de révéler, pour la première fois, que les régions corticales motrices impliquées dans l’exécution des actions participent également au traitement des mots d’action. Plus précisément, lorsqu’une tâche verbale, portant sur des verbes d’action, et un mouvement de préhension étaient réalisés simultanément, un effet d’interférence est apparu très précocement sur le pic d’accélération du poignet, soit 180 ms après la présentation des mots. Le pic d’accélération du poignet correspondant aux premières contractions musculaires, et dépendant lui-même fortement de la préparation motrice (Glover & Dixon, 2002 ; Schmidt et al., 1979), l’étape suivante logique, dans notre quête des liens unissant langage et motricité au niveau comportemental, était d’évaluer l’influence du traitement des mots d’action, non plus seulement sur l’exécution motrice, mais aussi sur la préparation des mouvements. La préparation motrice ayant été largement étudiée à travers les études d’électrophysiologie (EEG), nous avons mis cette technique à profit afin de tester l’hypothèse d’un partage de substrats neuronaux entre les processus préparatoires du mouvement de préhension et la reconnaissance des verbes d’action. Nous avons complété ces enregistrements EEG par des enregistrements cinématiques afin d’examiner les variations potentielles, liées à ces mêmes mots, des paramètres caractéristiques de l’exécution du mouvement.

Avant d’explorer plus en détails les données de la littérature sur les corrélats neuronaux de la préparation motrice, nous allons présenter un bref aperçu des aires corticales classiquement considérées comme cruciales dans les processus de préparation et d’exécution des mouvements.

Le contrôle du mouvement volontaire, bien qu’il fasse appel à la quasi-totalité des aires du néocortex, recrute principalement le cortex moteur, divisé en deux grandes aires, l’aire 4 et l’aire 6 de Brodmann (Fulton, 1935 ; Figure 9.1). L’aire 4, que l’on qualifie aussi de cortex moteur primaire ou M1, est située dans le gyrus précentral, en avant du sillon central. L’aire 6, ou cortex prémoteur, qui s’étend rostralement par rapport à l’aire 4, se subdivise quant à elle en deux sous-régions distinctes : la partie latérale ou aire prémotrice (PM),et la partie médiane incluant l’aire motrice supplémentaire (AMS) et l’aire cingulaire antérieure (CA). Depuis l’époque de Sherrington et Penfield (Leyton & Sherrington, 1917 ; Penfield & Boldrey, 1937 ; Penfield & Rasmussen, 1952), ayant démontré que, chez des primates non-humains et humains, des stimulations électriques de l’aire 4, même à très faible intensité, sont à même de produire des contractions musculaires des parties du corps controlatéral au site stimulé, le cortex moteur primaire est considéré comme l’aire de l’exécution des mouvements (Brinkman & Kuypers, 1973 ; Passingham et al., 1978, 1983). Le cortex prémoteur est pour sa part classiquement associé aux processus de préparation motrice. Ainsi, des travaux menés chez l’homme et le singe (Churchland et al., 2006 ; Crammond & Kalaska, 2000 ; Cunnington et al., 1996 ; Deiber et al., 1996 ; Kurata & Wise, 1988ab ; Richter et al., 1997 ; Weinrich & Wise, 1982 ; Weinrich et al., 1984 ; Wessel et al., 1997 ; Wheaton et al., 2005ab) suggèrent que l’aire 6 (PM, AMS et CA) joue un rôle crucial dans la planification des mouvements volontaires, et particulièrement dans l’élaboration de séquences complexes mettant en jeu la musculature distale. Toutefois, comme nous le décrirons dans la suite de cette introduction, cette distinction entre cortex moteur et prémoteur, pour l’exécution et la préparation des mouvements respectivement, ne doit pas être considérée comme absolue. Aussi les aires exécutives (M1) participent-elles également, quoique de façon moindre, aux processus moteurs de haut niveau tels que la préparation des mouvements ou encore la coordination bimanuelle.

Figure 9.1 : Les aires cytoarchitectoniques du cortex cérébral chez l’homme.
Figure 9.1 : Les aires cytoarchitectoniques du cortex cérébral chez l’homme.

(Brodmann, 1909)