IX.2. Présentation de l’étude et hypothèses

Le but de ce travail était d’approfondir l’étude des liens unissant les systèmes corticaux du langage et de l’action en examinant l’effet de la présentation de verbes d’action et de noms concrets sur la préparation et l’exécution d’un mouvement de préhension. Dans une expérience combinant pour la première fois des enregistrements EEG et cinématiques, nous avons utilisé un paradigme modifié de « precueing » dans lequel, dès l’apparition d’un signal d’alerte (S1), des participants sains devaient se préparer mentalement à réaliser un mouvement de préhension vers un objet placé devant eux. Après un délai fixe, un signal impératif (S2) était présenté et les participants devaient exécuter leur mouvement le plus rapidement et précisément possible. Ce paradigme s’apparentait ainsi à une tâche de « Attention ! Prêt ? … Partez ! », où, comme nous l’avons mentionné précédemment, le mouvement à effectuer était le même pour tous les essais, optimisant ainsi la qualité de la préparation motrice et, par conséquent, les temps de réaction des sujets.

Afin de mesurer l’influence de la présentation des mots à la fois sur la préparation et l’exécution motrices, les verbes d’action et noms concrets étaient présentés pendant la phase préparatoire du mouvement (i.e. lors du délai de préparation entre S1 et S2). Nous attirons ici l’attention sur le fait que ces mots étaient présentés de manière subliminale (i.e. de manière trop brève pour accéder à la conscience), de telle sorte qu’ils ne soient pas pertinents pour la réalisation de la tâche. Dans notre deuxième étude en effet (Boulenger et al., 2006b), les participants devaient donner leur réponse motrice en fonction du stimulus qui leur était présenté (i.e. ils ne devaient saisir l’objet que s’ils avaient identifié la séquence de lettres comme étant un mot de la langue française). Bien que nous ayons démontré une interférence précoce entre les tâches verbale et motrice, suggérant une contribution des aires motrices au traitement des verbes d’action, et écartant l’éventualité d’un rôle de l’imagerie motrice des actions décrites par les mots (cf. Discussion du chapitre VIII), la remarque pourrait être faite que la pertinence des stimuli dans la tâche ait pu affecter, d’une manière ou d’une autre, le comportement moteur des sujets. Dans la présente étude, nous avons donc choisi de présenter les mots de manière subliminale (50 ms) afin de ne pas influer ouvertement sur le comportement des sujets dans la tâche. Au contraire, l’influence des mots sur la préparation et l’exécution motrices était mesurée de manière implicite, à la manière des études utilisant la technique d’amorçage masqué (Dehaene et al., 1998, 2001 ; Draine & Greenwald, 1998 ; Ferrand et al. 1994 ; Forster et Davis, 1984, 1991 ; Forster, 1999 ; Greenwald et al., 1996 ; Holcomb et al. 2005 ; Kiefer & Spitzer, 2000 ; Kiefer, 2002 ; Marcel, 1983 ; Schnyer et al., 1997 ; Théoret et al., 2004). Ainsi, il est maintenant bien connu qu’un item cible, précédé d’un item amorce identique ou lié sémantiquement, même perçu inconsciemment (i.e. présenté de manière subliminale et suivi de masques de « rétroaction »), est traité plus rapidement. Dans la présente étude, nous avons tiré avantage de cette propriété de l’amorçage masqué, en évaluant l’influence d’une « amorce » verbe d’action ou nom concret, non sur le traitement d’un mot cible, mais sur le contrôle moteur de la préhension d’objet.

L’effet de la perception, même inconsciente, des verbes d’action et des noms concrets a été évalué sur :

la préparation motrice, en mesurant l’amplitude du PPM précédant l’exécution des mouvements

l’exécution motrice, en analysant les paramètres cinématiques du mouvement de préhension.

Notre hypothèse était que si, comme le suggèrent nos précédents résultats (Boulenger et al., 2006b) et les études d’imagerie cérébrale (Aziz-Zadeh et al., 2006 ; Buccino et al., 2005 ; Hauk et al., 2004b ; Pulvermüller et al., 2005bc ; Tettamanti et al., 2005), le traitement des verbes d’action recrute réellement les aires corticales prémotrices et motrices de préparation et d’exécution des actions, la perception d’un verbe d’action (en regard d’un nom concret), pendant la phase de préparation d’un mouvement, devrait réduire la qualité de cette préparation motrice et conduire à une interférence sur le PPM. La préparation motrice conditionnant la réalisation optimale des mouvements, cette interférence devrait ensuite se répercuter sur les paramètres cinématiques de l’exécution motrice.