IX.4.1. Influence du traitement des mots sur le PPM : EEG

Pour rappel, le temps 0 de l’axe temporel représente de début de la présentation du signal de départ S2, et les séquences de lettres étaient présentées durant l’intervalle de temps [-250 – -200 ms].

Sur la région centrale, les tests t en séries appariées ont révélé des différences significatives entre les conditions « verbes d’action » et « noms concrets » dans les fenêtres temporelles [-170 – -130 ms], [2 – 38 ms] et [260 – 434 ms]. Des différences significatives entre noms et non-mots ont été observées dans la fenêtre [176 – 206 ms]. Aucune différence n’est apparue entre verbes et non-mots. Sur la région occipitale, une différence significative pour les contrastes (noms vs. verbes) et (noms vs. non-mots) a été mise en évidence dans l’intervalle de temps [-180 ms – -100 ms].

Dans la suite, nous présenterons d’abord les résultats des ANOVAs en mesures répétées réalisées pour les fenêtres temporelles cibles dans la région centrale. Nous décrirons ensuite les résultats obtenus pour la région occipitale.

Région centrale

Le tracé EEG moyen obtenu sur la région centrale est reporté sur la Figure 9.5.a. Comme illustré, la préparation du mouvement de préhension a conduit à l’émergence d’un PPM, potentiel négatif d’amplitude croissante, sur les électrodes centrales. En outre, conformément à notre prédiction, l’amplitude de ce potentiel était réduite dans la condition « verbes d’action » en regard des noms concrets et des non-mots. Il faut toutefois noter que le tracé correspondant à la condition « non-mots », censée constituer la condition contrôle et par conséquent n’exercer aucune influence particulière sur le PPM, se situe « à mi-chemin » entre les tracés obtenus pour les deux catégories de mots. Ce résultat suggère donc que les non-mots choisis dans notre paradigme ne constituent probablement pas des stimuli contrôles adaptés. Le fait que ces séquences de consonnes possèdent une forte similarité visuelle avec les mots pourrait en partie rendre compte des données. Ainsi, la présentation subliminale de séquences ressemblant plus ou moins fortement à des mots aurait pu activer partiellement les représentations neuronales de ces mots, conduisant à un effet non attendu sur le PPM (voir Jacobs & Grainger, 1994 pour un modèle de la reconnaissance des mots). Pour cette raison, bien que nous présenterons les résultats des analyses statistiques réalisées sur les trois conditions de l’expérience, les données concernant les non-mots ne seront pas discutées.

Alors qu’une différence significative entre noms et verbes est apparue lors du test t dans l’intervalle [-170 – -130 ms], la différence entre les trois conditions pour cette même fenêtre n’était pas significative (p = .06). Toutefois, l’analyse en mesures répétées sur une fenêtre plus étroite de 10 ms, soit [-170 ms – -140 ms], a confirmé les résultats du test t ([F (2,38) = 3.25 ; p = .0497]). Plus précisément, l’analyse post-hoc a permis de montrer que l’amplitude moyenne du PPM était significativement plus faible (i.e. potentiel moins négatif) lorsque des verbes d’action étaient présentés durant cet intervalle de temps en regard des noms concrets (-.69 μV vs. -1.14 μV respectivement ; p = .0446). Aucune différence n’est apparue entre les verbes, ou les noms, et les non-mots (-.83 μV).

L’ANOVA réalisée dans la fenêtre temporelle [2 – 38 ms] a ensuite révélé une différence significative entre les trois conditions testées ([F (2,38) = 4.258 ; p = .0214]). Ainsi, le traitement des verbes d’action était suivi, 252 à 288 ms après leur présentation, d’une réduction significative de l’amplitude moyenne du PPM dans cette fenêtre (-.92) par rapport à la présentation des noms (-1.36 μV ; p = .0220) et des non-mots (-1.25 μV ; p = .0389). Les tracés obtenus pour les noms et les non-mots ne divergeaient pas significativement.

Enfin, les tracés étaient significativement différents entre les trois conditions entre 176 et 206 ms ([F (2,38) = 3.42 ; p = .0431]), et 260 et 434 ms post-stimulus ([F (2,38) = 4.533 ; p = .0172]). Premièrement, l’amplitude du PPM était plus élevée (i.e. potentiel plus négatif) dans la condition « noms » (-2.68 μV) vs. « non-mots » (-2.17 μV ; p = .0374) pour la fenêtre [176 – 206 ms], alors qu’aucune différence n’était observée entre les noms et les verbes (-2.52 μV), ni entre les verbes et les non-mots. Deuxièmement, dans l’intervalle [260 – 434 ms], l’amplitude moyenne était plus faible (i.e. potentiel moins négatif) lors de la présentation des verbes (-3.25 μV) par rapport aux noms (-3.87 μV). Ces tracés ne différaient pas de celui obtenu pour les non-mots (-3.54 μV). Il faut ici noter que les différences dans ces deux fenêtres temporelles sont à considérer avec précaution puisqu’elles ont été mises en évidence durant la réalisation du mouvement (début du mouvement 123 ms en moyenne après S2). Les variations d’amplitude moyenne du PPM en fonction de la catégorie des stimuli présentés et de la fenêtre temporelle sont présentées sur la figure 9.5.b.

Figure 9.5 :
Figure 9.5 : (a) Tracé moyen du PPM sur la région centrale. (b) Amplitude moyenne du PPM (en μV) sur la région centrale.

(a) Tracé moyen du PPM sur la région centrale. Les données sont présentées pour les verbes d’action (en rouge), les noms concrets (en bleu) et les non-mots (en vert). Les barres verticales de couleur indiquent les fenêtres temporelles dans lesquelles des différences significatives ont été observées entre les verbes et les noms (en jaune, [-170 – -140 ms] et [260 – 434 ms]), les verbes et les noms et non-mots (en rose, [2 – 38 ms]) et les noms et les non-mots (en bleu, [176 – 206 ms]). La présentation des séquences de lettres est indiquée par le rectangle coloré en gris ([-250 – -200 ms]) et le début du mouvement par le trait vertical noir (~123 ms). (b) Amplitude moyenne du PPM (en μV) sur la région centrale dans les trois conditions pour les fenêtres temporelles d’intérêt (représentées par les barres horizontales de même couleur qu’en (a)). Les différences significatives entre les conditions dans les tests post-hoc de Newman-Keuls sont indiquées par (*).

Pour résumer, dans plusieurs fenêtres temporelles, le PPM était moins négatif lorsque des verbes d’action étaient présentés de manière subliminale durant la phase préparatoire du mouvement, en regard de noms concrets. Cet effet débutait précocement, soit 80 à 120 ms après le début de la présentation des mots, et était maximal environ 250 à 290 ms post-stimulus, mais aussi lors de la phase précoce de réalisation du mouvement. Le tracé de la condition « verbes » ne différait de celui de la condition « non-mots » que dans un seul intervalle de temps (250 à 290 post-stimulus). Ces données semblent donc conforter notre hypothèse quant à une influence, en termes d’interférence, du traitement des verbes d’action sur la préparation simultanée d’un mouvement de préhension.

Région occipitale

Le tracé EEG moyen obtenu sur la région occipitale est illustré sur la Figure 9.6. L’ANOVA réalisée sur la fenêtre temporelle [-180 ms – -100 ms] a révélé une différence significative entre les trois conditions ([F (2,38) = 6.481 ; p = .0029]). Le test post-hoc a permis de préciser que le tracé EEG obtenu dans la condition « noms » différait des tracés correspondant aux deux autres catégories : ainsi, 70 à 150 ms après le début de la présentation des stimuli, l’amplitude du potentiel était significativement moins négative (ou plus positive) pour les noms (-2.85 μV) en regard des verbes (-3.59 μV ; p = .0042) et des non-mots (-3.48 μV ; p = .0059). Aucune différence n’a été mise en évidence entre les verbes d’action et les non-mots sur cette région.

Figure 9.6 :
Figure 9.6 : Tracé moyen du potentiel électrique dans la région occipitale.

Les données, moyennées sur les électrodes Oz, O1 et O2, sont présentées pour les verbes d’action (en rouge), les noms concrets (en bleu) et les non-mots (en vert). La barre verticale de couleur jaune indique la fenêtre temporelle [-180 – -100 ms] dans laquelle une différence significative est apparue entre les noms et les verbes et non-mots. La présentation des séquences de lettres est indiquée par le rectangle coloré en gris ([-250 – -200 ms]).