IX.5.2. L’amorçage : un outil de choix pour révéler les liens unissant le traitement des verbes d’action et le système moteur 

Comme mentionné dans l’introduction de ce chapitre, il est aujourd’hui admis que des stimuli, même perçus inconsciemment, sont traités. De nombreuses études ont en effet démontré que la présentation préalable d’un mot, exposé brièvement et immédiatement précédé et/ou suivi de masques, affecte le traitement d’un deuxième mot présenté ultérieurement (Dehaene et al., 2001 ; Draine & Greenwald, 1998 ; Ferrand et al., 1994 ; Forster, 1999 ; Greenwald et al., 1989 ; Merikle & Daneman, 1998). Ces « effets d’amorçage masqué » se traduisent notamment par des temps de réponse plus courts et/ou des taux d’erreurs plus faibles lorsque le premier mot, appelé « amorce », est identique ou sémantiquement lié au deuxième, la « cible » (les processus d’amorçage seront détaillés dans le chapitre suivant). L’interprétation la plus couramment admise pour rendre compte de ces effets est que les propriétés lexico-sémantiques de l’amorce subliminale seraient activées de manière rapide et automatique (i.e. irrépressible) au sein du réseau sémantique (Forster & Davis, 1984 ; Marcel, 1983). Les représentations des mots partageant des propriétés avec cette amorce seraient à leur tour activées, conduisant à un traitement plus rapide et plus efficace en regard de mots non liés à l’amorce. Ces processus lexico-sémantiques purement automatiques et inconscients seraient particulièrement mis en place lorsqu’un délai court (i.e. 100 à 250 ms) sépare l’amorce de la cible (de Groot, 1984 ; Greenwald et al., 1996 ; Holcomb, 1988).

Dans la présente étude, les propriétés de l’amorçage masqué, censé révéler l’existence de processus communs à deux évènements, ont été mises à profit afin de mettre en évidence les liens potentiels unissant les systèmes cognitifs sous-tendant le traitement des verbes d’action et le contrôle moteur. En effet, si un mot amorce peut faciliter le traitement d’un mot identique ou sémantiquement lié, et dans l’hypothèse où le traitement des mots d’action et l’action elle-même reposent sur des aires cérébrales et des mécanismes neuronaux communs, la présentation d’une amorce « verbe d’action » ne devrait-elle pas affecter les processus moteurs ? Nos résultats, en démontrant un effet d’interférence de la perception inconsciente de verbes d’action, en regard de noms concrets, sur la préparation simultanée d’un mouvement de préhension, ont permis d’apporter une réponse affirmative à cette question. Ainsi, l’emploi d’un paradigme « détourné » d’amorçage masqué est apparu comme un moyen subtil de révéler l’existence de corrélats neuronaux communs à la récupération des verbes d’action en mémoire et à la préparation/exécution motrices. Plus précisément, nos stimuli possédant les mêmes caractéristiques que les amorces utilisées dans les paradigmes d’amorçage (i.e. présentation subliminale et masquée), nous pouvons supposer que leurs représentations lexico-sémantiques aient été automatiquement activées, conduisant à des effets spécifiques sur le tracé EEG dans la région centrale. Autrement dit, les processus automatiques d’activation lexico-sémantique des verbes d’action recruteraient les régions impliquées dans la préparation et l’exécution des mouvements.